Chapitre 43

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Je ne sors que rarement de ma chambre. Je m'assois sur mon lit ou près de la fenêtre et j'attends. Carl vient me voir quelquefois pour me tenir compagnie, le temps qu'il reste avant que l'injection de Béatrice ne fasse plus d'effet. Des jours, des semaines et des mois dans la solitude. Je ne mange ni ne dors. Je ne ressens pas la faim, ni la soif et très peu le sommeil. Je suis comme mort, depuis longtemps.

C'est comme un film, qui se déroule sous mes yeux. J'enregistre chaque moment qui passe, chaque seconde qui file. Il n'y a aucune barrière de temps, aucune limite imposée. Essayer de contrôler ce qui m'arrive permet de mener l'histoire vers un point prédéfini. Pourtant, les rôles changent et les choses me dépassent. Je deviens acteur principal, mais parfois, les seconds rôles prennent la relève. Combien j'en possède ? Sont-ils bons ou mauvais ? Ce qui est sûr, c'est qu'ils sont là, en moi, prêts à se manifester dès que l'occasion se présente. Nous sommes prédisposés à rester nous-mêmes, mais la réflexion et le calcul font de nous quelqu'un que nous ne sommes pas forcément. Des moments de joie, de rire, d'amour, de peur, d'angoisse, de colère, d'action, d'adrénaline, étalés sur des dizaines d'années, des milliers de jours, d'heures, de minutes et de secondes. La vie est une scène sans coupure, mais avec quelques trucages. Tout est semblable, excepté l'histoire qui elle... n'est jamais écrite à l'avance.


L'année touche pratiquement à sa fin. Je décide de me coucher sans appréhension particulière. Des rêves ou des cauchemars, peu importe. Je ferme les yeux et me laisse emporter par mon subconscient. Je souris, car je sais qui je suis et ne compte plus l'oublier, désormais. Tout peut rentrer dans l'ordre.

Je me réveille sous le chant des oiseaux. Il doit y avoir un nid près de ma fenêtre. Je siffle avec eux, le visage au vent, puis descends à l'étage. Je somnole étrangement depuis plusieurs heures. Ma tête me fait très mal et mes membres sont engourdis. Je réduis mes efforts pour me sentir mieux. Mes ongles se décollent, ma peau est irritée et ma bouche pâteuse. Mes cheveux tombent par poignées et l'une de mes dents se déchausse. Je fais une sieste pour me requinquer et me sens beaucoup mieux désormais.

J'entends des bruits de vaisselle et me réveille en sursaut. Il n'y a pourtant personne dans la cuisine. Lorsque je reviens au salon... elle est là. Je pense la voir, je crois la voir... Je la vois. Que fait-elle ici ? Comment est-elle revenue ?

Ma vision devient vaporeuse et tout semble reprendre vie sous un feu de cheminée chaleureux.

Je cours et la prends dans mes bras. Je pense la sentir, je crois la sentir... je la sens.

- Maman, dis-je, ému.

- Aven... Me murmure-t-elle.

Sa voix me transporte et me fait voyager.


L'aiguille de l'horloge semble avoir doublé de vitesse. C'est l'impression que j'ai depuis que j'ai ouvert les yeux, ce matin. Le temps m'échappe et glisse entre mes mains, insaisissable. C'est comme ça à chaque dernier jour de l'année.

L'étreinte de ma mère se relâche et je peux enfin reprendre mon souffle. Voilà plusieurs minutes qu'elle me serrait dans ses bras à m'en écraser les côtes. Peut-être essayait-elle de nous sentir vivants, tous les deux, pour la dernière fois...


FIN.

Destin TurquoiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant