Chapitre 42

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Je cours à travers les rues et continue de croiser des détraqués, farfelus et louches. Ils ne remarquent même pas ma présence.

Beth n'est plus très loin, je reconnais la maison dans laquelle elle est censée vivre. Tout est similaire à la ville que j'ai cru connaître, mais plus rien n'a le même aspect. De la mousse a élu domicile sur les murs et le sol... Des champignons et de la végétation à tout va.

Il n'y a plus de circulation, plus de klaxon ni de va-et-vient. Tout est figé dans une décrépitude des plus profondes.

- Tu es déjà là ! S'amuse-t-elle depuis la fenêtre de sa chambre.

Je lui souris puis elle descend m'ouvrir la porte. Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle me saute déjà dans les bras.

- A quoi veux-tu jouer aujourd'hui ? Ma maman et mon papa vont bientôt rentrer !

- Beth ? C'est moi !

- Micka, tu m'as tellement manqué ! Comment étaient tes vacances ? Tu n'as pas trop bronzé, rigole-t-elle en me pinçant la joue. Tu sembles contrarié, tu vas bien ? Viens, suis-moi, j'ai un nouveau jeu de société !

- Tout va bien pour toi ? Je demande avec une pointe d'amertume.

- Oui, je vais super bien ! Pourquoi cette question ?

- Pour rien...

Je m'éloigne d'elle, les larmes aux yeux.

- Où tu vas ? Me demande-t-elle en m'attrapant la main.

- Je dois rentrer à la maison...

- C'est encore ta maman qui te punit ? Puni, puni, puni !

Elle secoue ses cheveux et mâchouille ceux qui lui tombent dans la bouche. Elle me regarde, puis éclate de rire.

- Tu reviens me voir rapidement ? Promis, promis, promis, promis ?

- Oui, je reviendrai.

- Tu promets ?

- Oui, je le promets.

Mon cœur se soulève, je retiens mes sanglots. La seule personne sur laquelle je pouvais me reposer est complètement atteinte. Elle ne semble pas avoir grandi.

Elle s'éloigne et remonte les escaliers en marmonnant « Maman les petits bateaux qui vont sur l'eau ont-ils des jambes » Sa voix me glace le sang.

- C'est ta comptine préférée, tu te souviens ? Me lance-t-elle en haut des marches.

- C'est vrai... oui.

- C'est bizarre, je ne t'entends plus la chanter. Peut-être que tu ne l'aimes plus, après tout. Ton papa nous la chantera la prochaine fois que nous irons pêcher avec Claire.

- Claire ? Où est-elle ?

- Pas vue ! Répond la jeune fille naïvement. Elle ne veut plus jouer avec moi. Le méchant Decklan l'empêche toujours de sortir.

Claire, Beth et moi... Cela ne m'évoque rien. Quel rôle ai-je attribué à Decklan ? Est-il, comme Carl, présent pour nous surveiller ? Cela expliquerait son attitude étrange lorsque je l'ai rencontré à l'école. « J'ai appris pour toi... je suis désolé que tu aies à revivre ça. » me disait-il. Il savait, lui aussi. Il essayait de m'aider, à sa façon. Voulait-il me ramener à la réalité en m'emmenant auprès de Claire ? «  Vous ressemblez beaucoup à Micka » m'annonçait-il. Ce croquis était le mien, il tentait de m'ouvrir les yeux... en vain.

Mon amie disparaît à l'étage et je sors de la maison. Une vague de sentiments m'emporte et me noie sous le chagrin. Je décide de rentrer, épuisé par toutes ces révélations. Personne ne semble avoir de bon sens dans les environs.

Ma maison est toujours la même, pourtant, j'ai l'impression de l'avoir quittée depuis des siècles. Je rentre pour m'y réfugier. L'électricité ne fonctionne plus mais l'eau est toujours accessible. Je remplis la baignoire et m'y allonge. L'eau est aussi froide que dans le village abandonné. Je repense à ces déséquilibrés qui m'ont attaqué. Je ne veux pas finir comme eux... je ne peux pas être aussi fou.

Je ferme les yeux et me plonge dans mes souvenirs, essayant de retracer les moindres détails de mon existence afin que Micka redevienne mon premier nom.

Destin TurquoiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant