Chapitre 36

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Localisation : Inconnue

Date : Inconnue

Heure : Inconnue

Carl quitte la pièce lorsque Béatrice se veut sans espoir. Il longe le couloir et retourne auprès de Don Blorton.

- Tout va comme vous voulez ? Demande-t-il, poliment.

- Vous savez, reprend l'homme, je n'ai jamais perdu espoir. Que ce soit pour les Turquoises ou le Destin. Pourtant, depuis quelque temps, je me demande si tout ça a réellement un sens.

- Qu'est-ce qui vous fait douter ?

- Les résultats, répond le président, évasif.

Les deux hommes s'installent sur le canapé en cuir, whisky à la main.

- Vous pensez que Béatrice peut y remédier ? Rajoute-t-il.

- Elle et ses associés travaillent d'arrache-pied pour trouver une solution. Nous nous efforçons de maintenir l'équilibre en attendant.

- Voilà un moment que nous attendons... Depuis combien de temps ce système est en place ?

- Depuis plus de dix ans, si mes souvenirs sont bons.

Le vieillard se lève, pose son verre, et ricane.

- Voilà donc plus de dix ans que nous remplaçons la Mort ! Rit-il. Qui pouvait se douter que cela arriverait un jour ? La mort, disparue, du jour au lendemain. Elle qui fait tant partie de la vie, elle qui maintient l'ordre naturel. Nous voilà obligés de faire des statistiques et de séparer le monde en deux.

- C'est ce qui l'a maintenu derrière les portes de l'anarchie.

- Tous ces gens, qui ne meurent plus... continue le président, ne s'en rendront-ils jamais compte ?

- Comment le pourraient-ils ? Nous les interceptons avant que l'âge ne leur permette de comprendre.

- Toute cette jeunesse qui grandit et qui n'a plus de place pour s'épanouir. Tous ces malades que nous récupérons, tous ces fumeurs et ces alcooliques... tous ces prisonniers et ces malfrats. Nous ne pouvons pas les garder indéfiniment. Si aucun remède n'est décelé, nous devrons agir.

- Nous nous sommes engagés à éviter le pire... quoi qu'il arrive. Je ne me permettrais pas de rompre cette promesse, avoue Carl.

- Les avez-vous vus ? Nous encerclant ?

- Qui donc ?

- Les cas de dégénérescence totale. Ceux qui déambulent entre les zones...

- Deviennent-ils agressifs ?

- Agressifs ? Ce mot n'est rien face à la réalité. Ne pas mourir est une chose, mais vivre éternellement est toujours impossible. Que faire lorsque le cerveau ne répond plus, lorsque les organes et les cellules sont trop vieux pour se régénérer. Quand un cancer se généralise mais que le corps ne lâche pas prise. Vous imaginez-vous vivre pour toujours dans de telles conditions ? Que ce soit paralysé, malade ou sénile ?

- Quelle décision allez-vous prendre ? Une balle dans la tête pour tous ces gens ? N'avons-nous pas causé assez de morts ?

- Si vous faites allusion à Rose, la messagère que nous avons dû éliminer, je continuerai à dire que vous êtes l'un des plus bornés qu'il soit !

- La rupture neurologique est le seul moyen pour mettre un terme à toute existence, je suis au courant, mais cette fille est quand même morte. Elle était juste effrayée.

- Elle allait créer un mouvement de panique que nous n'aurions pas pu gérer.

Le temps se gâte et l'orage gronde. Des éclairs fusent de part et d'autre et illuminent la pièce d'un flash éblouissant.

- Elle fait partie des dommages collatéraux, rien de plus.

- Et pour lui, reprend Carl en parlant du gamin, que comptez-vous faire ? Il risque de faire s'écrouler le château de cartes que nous bâtissons depuis des années. Pourquoi ne pas le garder auprès de vous ?

- Je ne supporterai pas la douleur... cette douleur que je ressens lorsque je vois dans ces yeux la haine qu'il me porte. Je veux que vous continuiez de veiller sur lui. Nous lui attribuerons les soins nécessaires, comme nous l'avons toujours fait. Il peut bénéficier de l'évolution médicinale en restant à l'intérieur de nos zones et c'est la raison de sa présence dans ces lieux.

- Pensez-vous qu'il vous reconnaîtra un jour ?

- Non... à ses yeux je suis parti, pour toujours. Je ne suis plus l'homme qu'il connaissait. Je suis celui qui l'a abandonné alors qu'il n'était qu'un enfant. Je suis l'homme de l'autre côté du lac.

- Un fils ne renie jamais son père indéfiniment, rajoute Carl dans un élan de réconfort.

Destin TurquoiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant