Chapitre 17

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Notre ville ne peut pas être coupée du monde pendant onze mois. Les échanges sont nombreux pendant la Distribution, mais continuent d'exister lors de la fermeture des frontières.

- Je ne pourrai pas obtenir d'informations de mon père, reprend Hope, je ne peux pas le mettre en danger.

- Est-il possible que tu mettes la main sur un plan de la ville ou de l'usine dans laquelle il travaillait ? Demande Greg, cela nous permettrait de découvrir par quel chemin les échanges s'effectuent.

- S'effectuaient, corrige la jeune fille, l'usine ne fonctionne plus depuis son départ. Elle produisait de la viande industrielle avant que la crise ne frappe.

- Il nous faut une voiture, rajoute Greg, il me semble que tu en as une Aven ?

- Oui, nous pourrons nous en servir.

Hope se lève d'un bond et pose les mains sur la table.

- L'école est fermée, dit-elle, cela masquera notre absence pendant quelque temps. Après tout, personne ne partira à notre recherche, mais nous ferions mieux d'agir rapidement.

- Tu peux t'occuper de la paperasse et des plans du site ? Ton père a dû garder certaines de ses affaires, lance Greg.

- Je m'occupe de tout ça, nous assure-t-elle.

Elle sort de sa poche de jean une liasse de billets.

- Voici des économies que je gardais en cas d'urgence.

Elle donne de l'argent au garçon afin qu'il aille faire les courses, puis me donne suffisamment pour un plein d'essence.

- On pourrait partir ce soir, propose-t-elle, on aura le temps de tout préparer d'ici là. Si ce plan ne fonctionne pas et que nous ne trouvons pas de chemin vers l'extérieur, il faudra rebondir.

Greg et moi nous levons à notre tour afin de vaquer à nos occupations respectives.

- On se retrouve chez toi Aven, à la tombée de la nuit, reprend la jeune fille.

Voilà qu'il ne me reste plus qu'à préparer le nécessaire pour notre excursion à durée indéterminée. J'aimerais me dire que nous partons pour toujours, loin de cette ville et loin de ce système, mais je sais que chaque mètre carré de ce monde est contrôlé par le Destin. Il n'y a pas un endroit sur cette Terre où nous pourrions être à l'abri.

Je prévois des couvertures et veille à placer une trousse de premiers secours dans le coffre de la voiture. Je vérifie l'état de la carrosserie puis laisse un peu tourner le moteur. Je pars ensuite à la station la plus proche afin de faire le plein. Cette voiture tiendra la route.

De retour à la maison, il ne me reste que quelques heures de tranquillité. Je reste sous la douche pendant plusieurs dizaines de minutes et prépare un sac avec des habits propres. Nous devons voyager léger, mais c'est difficile car tout me semble soudain important.

Je vois, à travers les rideaux de ma chambre, que le ciel est toujours aussi sombre. Les nuages s'alourdissent et se réunissent au-dessus de notre tête. Des tonnerres retentissent et je perçois, au même moment, des tambourinements à la porte d'entrée.

Hope et Greg vacillent sous les rafales de vent avant de se précipiter dans le hall de la maison.

- Quel temps ! S'écrie Hope en serrant son sac contre sa poitrine.

- On ferait mieux de partir avant l'orage, conseillé-je, tu as trouvé quelque chose d'intéressant ?

- Oui, asseyons-nous un instant.

Greg dépose un large panier rempli de provisions et nous nous installons une nouvelle fois autour de la table du salon. Hope sort une pochette et dépose de grands papiers face à nous.

- Il s'agit du plan de la ville, nous informe-t-elle, cela nous permettra de repérer facilement l'emplacement de l'usine et son environnement approximatif.

Des traits fins et épais, des routes et des annotations, des noms et des numéros me perdent dans un flot d'informations excessives. La jeune fille essaye de nous guider à travers toutes ces indications.

Elle sort une nouvelle feuille, plus ou moins similaire à la précédente. Les dimensions sont plus grandes, comme un zoom effectué sur une partie du plan complet.

- Voici l'usine, dit-elle, vue du dessus. Nous pouvons voir l'intérieur, représenté en pointillés, et ses alentours.

Le bâtiment semble assez imposant et se trouve à proximité d'un des murs de frontière. Je ne vois rien d'autre qui puisse nous indiquer le chemin à prendre.

- Ici, reprend-elle comme si elle lisait mes pensées, vous voyez ces traits saccadés qui partent de l'usine et longent le sol jusqu'au mur de pierre ? C'est un tunnel... Vous aviez raison.

Je souris car j'éprouve une certaine satisfaction face aux résultats de nos recherches.

- Il y en a d'autres, mais nous ferions mieux d'emprunter le principal, car il nous mènera plus rapidement vers l'extérieur.

- Pourquoi n'y a-t-il rien de représenté sur les plans, derrière les murs de séparation ? Questionné-je.

- Je n'ai trouvé qu'un plan de ce secteur... c'est ce qui nous intéresse pour l'instant. Nous verrons le reste au moment venu, me rassure Hope.

Des grondements effrayants nous parviennent des cieux et mes poils se redressent. Les lumières clignotent et les vitres tremblent.

- Que signifie tous ces numéros en rouge ? Demandé-je.

Ils sont disposés de façon circulaire et semblent correspondre à certains endroits de la ville.

- Je ne sais pas encore, mais cela ne doit pas être important. Sûrement des mesures ou des échelles de distance.

Elle remballe ses affaires et passe son sac en bandoulière autour du cou.

- Je crois que tout est prêt... Nous avons tout ce qu'il nous faut.

- Qu'allons-nous faire, dis-je, si nous arrivons à dépasser les limites de la ville ? Nous ne pourrons pas passer inaperçus indéfiniment. Nous serons bloqués aux prochaines frontières.

- Il y a beaucoup de route avant d'atteindre les autres villes, répond-elle, je doute que les convois de Distribution passent par ces dernières pour remonter jusqu'au Destin. Nous trouverons un chemin à suivre...

Elle parle avec une telle détermination que je ne peux que lui faire confiance. Voilà qu'elle prend en main notre escapade et y accorde une importance déroutante. Le visage de sa défunte sœur doit lui apparaître en mémoire à chaque instant.

La voiture est prête à partir. Le coffre contient le strict nécessaire pour passer plusieurs jours sur la route. L'argent que Hope possède nous permettra de tenir un bon moment et j'y mêlerai le peu d'économies que j'ai pu rassembler.

Je prends la place du conducteur et laisse mes amis s'installer. Je fais ronronner le moteur et mets en marche les essuie-glaces, car il commence à pleuvoir.

- Départ pluvieux... Départ Heureux, ironise Greg.

Le moment est enfin arrivé. Je suis sur le point de partir et de laisser derrière moi des années de vie. Ce ne sera peut-être que pour quelques jours ou bien quelques mois.

Seul le Destin nous le dira.

Destin TurquoiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant