Chapitre 04 - Métamorphose

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Je retirais l'aiguille de mon bras. Je posais la seringue sur le bureau.

« – Nous saurons bientôt si ce produit est létal ou pas.

- Vous êtes malade, mon garçon, c'est une forme de suicide que vous venez de tenter, là.

Calmement, je le fixais :

- Si ce que vous venez de me dire est vrai, et comme vous venez de le voir, je n'en doute pas un seul instant, je viens de faire la seule et unique chose raisonnable que je pouvais faire ! Prenez le pire des cas : je meurs dans les 20 minutes qui viennent. J'aurais évité la pandémie, la souffrance de voir mes proches mourir, même si je ne suis pas réellement capable de dire si ce type de chose me ferait réellement souffrir. J'ai aussi esquivé la crise post-apocalypse. À l'inverse, si je suis immunisé à ce terrible virus, il sera certainement possible d'améliorer la formule de votre vaccin grâce à ma production d'anticorps. Dans le dernier cas, j'aurais quelques effets secondaires, puis je mourrais comme les autres.

- Vous avez une logique à glacer les sangs, jeune homme.

- Je suis un psychopathe, Monsieur, je suis capable de tuer un homme sans remords si l'obligation s'en faisait sentir.

- Vous êtes sûr de ça ?

- C'est ce qu'en dit mon psy. Personnellement, je ne me suis jamais trouvé dans une position où la mort d'un homme était nécessaire. J'ai déjà frappé des garçons de mon âge. Mais ça n'a jamais été plus loin. Je suis pragmatique, aussi.

- Votre personnalité est intrigante.

– Savez-vous combien de temps cela va mettre à agir ?

Je pointais mon bras, à l'endroit de la piqure.

- C'est une version inactivée, enfin, nous l'espérons, du virus Z8N4, le Z représentant un acide nucléique synthétique très peu immunogène. Ce virus provoque la mort sans fièvre à moins de faire une réaction auto-immune aux cellules modifiées par les fonctions du virus. Dans ce cas, c'est nettement plus douloureux, mais c'est très rapide. Je ne peux pas dire ce que cela provoque réellement, la plupart des sujets de test sont morts dans les 8 heures suivant l'injection. Les centiles de la période d'incubation varient entre 1 et 4 heures.

- Je vais prendre quelques précautions, normalement, je ne serais réellement contagieux que dans une à trois heures.

- Il est aussi possible que vous soyez mort.

- Je vous tiendrais au courant par SMS, j'ai votre numéro. »

***

Sans perdre plus de temps, je rentrais chez moi. Pas de vertige, pas de sueurs froides, pas de modification du rythme cardiaque. Je pensais alors que je calfeutrais hermétiquement ma chambre que j'avais passée le plus gênant, une légère crise respiratoire passagère. C'était faux.

J'avais pris la précaution d'indiquer sur ma porte de chambre, sous le symbole « biohazard », qu'il ne fallait pas l'ouvrir sans une zone de décontamination, en espérant que mes parents comprendraient, lorsqu'ils rentreraient, qu'il n'était pas bienvenu de me déranger. Mais ils n'en firent rien.

***

Je m'éveillais dans une chambre blanche d'un hôpital. Le téléviseur indiquait que j'avais dormi 98 heures, soit trois heures de plus que la date présumée de l'apparition du patient 0.

Les urgences étaient calmes, même si je pouvais voir les tentes de quarantaines sous les fenêtres de ma chambre. Dans le couloir, devant celle-ci, se trouvait l'agent Gerault, lisant un livre sur les expériences de mort approchée.

« – J'ai survécu... lui dis-je.

- Pas réellement, me répondit-il. »

Je sombrais de nouveau dans le coma.

***

Lorsque j'ouvris les yeux pour la seconde fois, je me sentais frais, dispos, voire même un peu plus que cela : nouveau. Le cathéter planté dans ma main n'était plus raccordé qu'à une poche vide. Le silence était mortel, pas même un bip qui pouvait indiquer ce qu'étaient devenues mes constantes. Remarquez que l'ensemble de l'équipement était fonctionnel et connecté à une alimentation, d'urgence d'après les panonceaux qui indiquait les sorties de secours, mais il était encore là, en silence, et dessinait des tracés plats . Pourtant, je n'étais pas mort. Enfin, je n'avais pas compris à l'époque.

D'après les instruments, ma température avoisinait les 22 °C, c'est-à-dire celle de la pièce. Je n'avais pas de pouls et je ne respirais plus. Pour ma part, je me sentais en pleine forme.

Je me levais et regardais dans le miroir mon visage, un peu plus blanc qu'à l'habitude, mais d'un rien. On aurait eu du mal à faire la différence. Chose étrange, mon corps était maintenant couvert de taches violet sombre qui pouvaient faire penser à des hématomes si on excluait les volutes ésotériques qu'elles faisaient sur mon torse, mes bras, mon ventre et entre mes jambes. Elles y faisaient des formes comme des tatouages tribaux.

Bien sûr, ça ne me procura aucune peur, ni un sursaut de surprise. Le virus, même inactivé, avait fait son œuvre en modifiant mon corps pour qu'il soit un hôte parfait. La transformation qui avait tué les cobayes de laboratoire avait fait de moi... Un autre.

Je regardais à l'extérieur. Depuis le troisième étage, les tentes oranges n'étaient plus que ruines, déchirées, inutiles. Une odeur pestilentielle me parvient, à travers le verre qui fermait la fenêtre : les filtres antiparticules n'étaient pas suffisant pour enfermer la puanteur de la mort.

J'hésitais un instant, plusieurs minutes en fait, avant d'appuyer sur le bouton d'ouverture de la première porte du sas de protection. Je laissais s'effectuer le cycle de décontamination qui consistait en une douche de produits antibactériens et antiviraux. Qu'importait, je supposais porter en moi le virus, bien plus intimement que comme un envahisseur, comme un symbiote. J'étais alors persuadé qu'il était envisageable de faire la différence entre ce qu'il était à son état 0 et sa version inactivée, pour trouver une solution à ma modification ainsi qu'à celle de ceux qui avaient été affectés. Je n'avais pas encore pris l'ampleur de la situation.

Les couloirs étaient tellement vides que ça en devint rapidement étrange, pour ne pas dire terrifiant, pas en raison de l'insécurité latente, j'aurais été incapable de la ressentir, mais bien à cause de ce que cela impliquait. Si un endroit comme un hôpital de dernière gamme pouvait être totalement infecté par le virus, il fallait supposer que l'ensemble de l'environnement l'était aussi.

Je commençais à découvrir des cadavres : mutilés, comme si on les avait dévorés, démantibulés, comme si on les avait frappés avec suffisamment de force pour rompre les os ou pour disloquer les articulations, sans tête, comme si on s'était acharné à les réduire au silence.

À chaque marche que je descendais vers le rez-de-chaussée, l'odeur augmentait d'intensité, pour devenir suffocante. Mon hoquet me fit comprendre que même si ce n'était pas énorme, je respirais encore, contrairement à ce que j'avais cru au premier abord.

Arrivée dans la rue, je pris l'ampleur du mal : l'environnement était du niveau de l'Apocalypse, pas la révélation de Saint Jean, mais celui de Romero.

Je suis ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant