Chapitre 16 - Dortha

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J'avais passé la nuit — après l'effervescence que j'avais moi-même créée, pour faire passer la déprime dans l'esprit de mes camarades — au chevet de Sarah. J'y trouvais deux intérêts : je pouvais surveiller ma patiente avec attention et décrire les phases de mutation qu'elle manifestait.

Elle ne semblait plus souffrir de son état. Trois heures après l'injection, sa respiration était descendue à un rythme très bas qui s'approchait de la mienne. Son cœur aussi avait baissé la vitesse de ses battements. Bientôt, cet organe n'aurait plus aucun intérêt si j'avais bien compris le principe de fonctionnement des virus de la famille des Z.

En relisant mes notes sur la journée, je pus faire une estimation de la quantité de changement que Z apportait à ses victimes ou ses hôtes suivant la version du virus qu'ils subissaient. J'avais commencé à étudier les bases de connaissances stockées dans l'observatoire. Même si elles concernaient des animaux, elles s'appliquaient en grande partie aux humains. Je remerciais à chaque page le vétérinaire de bord d'avoir sauvegardé sur un disque dur externe une grande partie de ses livres de référence. J'eus aussi le temps de lire son journal et je compris qu'il y avait une raison à cette compulsion : l'observatoire était coupé du réseau pendant une grande partie de la journée pour éviter les interférences avec les composants internes à celui-ci...

C'était étrange, les soucis de blindage et de parasites avaient été réglés sur la plupart des outils de ces tailles par l'utilisation de la fibre optique. Pour me dégourdir les jambes, et après avoir laissé Sarah à la garde de Dortha, je me dirigeais vers les salles techniques de l'observatoire. Quelle ne fut pas ma surprise de trouver à cet endroit une salle blanche totalement équipée et alimentée par de multiples batteries de secours, solaire, éolienne et hydraulique. Je supposais qu'une quantité de données devaient être traitées dans les entrailles de l'observatoire même. Mais les arrivées de fibres optiques me firent supposer que les données étaient envoyées au centre de calcul de LA... De plus en plus étrange... Surtout que les fibres en questions étaient illuminées et qu'elles donnaient donc lieu à des transferts d'informations.

Après quelques recherches, je revins au chevet de Sarah avec la documentation technique des serveurs et de l'installation. D'interminables procédures permettaient l'accès aux données sauvegardées. Je commençais à étudier le modèle pour en savoir plus.

« Joshua, je... amorçai Dortha au milieu de la nuit, mais elle ne termina pas sa phrase.

- Que puis-je pour toi ? répondis-je en levant les yeux de l'ennuyeux volume.

- Je voulais te demander pardon pour ce que j'ai dit cet après-midi. Tu as tout fait pour sauver Sarah, je n'avais pas le droit de m'en prendre à Bella.

- Nous ne sommes pas comme vous, ça se comprend. Elle te fait peur en raison de ce que nous avons vu. Je trouve cela normal, Dortha. Je ne suis pas plus facile à appréhender, je suis socialement inadapté. Je me comporte et parle étrangement, et, maintenant, j'ai les yeux métalliques, ça n'aide pas à avoir confiance en moi.

- C'est de la logique, n'est-ce pas ?

- Oui, tu as compris. C'est le dernier point, je n'ai pas de sentiment. Quand je t'ai frappé, tout à l'heure, je n'avais qu'un seul but : que tu répondes à mes questions. Je n'ai pas de sentiments pour Bella, parce que je ne peux pas avoir de sentiment pour elle. En fait, je n'ai pas de sentiment, tout court.

- Comment vit-on, dans cet état ? demanda-t-elle attristée.

- On apprend à singer les autres : il faut faire un effort pour reconnaitre les micro-expressions qui sont normalement instinctivement décryptées, puis on réagit par automatisme en réactions programmées.
Dans l'urgence dans laquelle nous sommes, je ne pouvais pas survivre tout seul alors j'ai pris la direction du groupe. J'ai trouvé que les deux leaders de l'époque étaient dangereux, pour moi, d'abord, pour vous, ensuite. Je ne pouvais pas les faire revenir à une logique qu'ils n'avaient jamais eue, je les ai donc éliminés. Si je devais le refaire, je n'hésiterais pas plus. Alors, Dortha, je comprends que tu as peur de moi, même s'il n'y a aucune raison.

- Et pour Sarah ? Elle n'a aucun intérêt, elle n'est pas forte ni indispensable au groupe. Alors, pourquoi ?

– Regarde autour de toi, Dortha, ils s'y sont tous mis. Je n'avais aucune raison de laisser Sarah mourir, je ne suis pas un monstre non plus. C'était à la fois un moyen de tester le sérum pour une bonne raison, un moyen de faire se focaliser l'ensemble d'entre nous et de faire remonter le moral du groupe. Sarah est sauve, c'est une très bonne nouvelle.

- Comment peux-tu savoir qu'elle est sauve ?

– Dois-je vraiment te le dire ?

Je fis une pause, pesant le pour et le contre. Finalement, je poursuivis :

- Ma dernière phase de mutations m'a donné la faculté d'entendre les pensées. Je l'entends rêver ! Elle est actuellement en train de voir défiler les vies de ceux que j'ai absorbés. Elle apprend d'eux et de moi.

- C'est un peu...

– Terrifiant ? Au final, ça fait moins peur que tu ne le crois, c'est rassurant de savoir qu'ils ne sont pas morts en vain et qu'ils vivent encore à travers nous. »

Nous fixâmes un moment la fillette qui semblait dormir paisiblement, en tout cas à mes yeux. Après quelques minutes, je vis que Dortha pleurait.

« Elle semble morte. Murmura-t-elle.

– Je peux t'assurer que ce n'est pas le cas !

– Je sais bien, mais j'ai peur de ce dont elle sera une fois réveillée !

– Juste un peu différente, mais à peine. Tu n'as pas encore fait ton choix, pour le sérum, tu attends son réveil, n'est-ce pas ?

– J'ai peur d'aller contre la volonté de Dieu. Je n'ai pas le droit de me changer en autre chose.

– La croyance ou la Foi, Dortha ? Penses-tu que Dieu aurait laissé faire s'il avait une quelconque influence ou bienveillance à notre égard ? Pourquoi m'aurait-il privé de mes sentiments en accablant mon père pour un banal accident ?

– Tu ne crois en rien ?

– Je ne comprends pas la croyance ou la Foi : si je veux m'en sortir ici et maintenant, prier est une perte de temps. Si Dieu existe, il sait ce dont nous avons tous besoin et je ne crois pas qu'il fera le moindre geste pour nous. Et la raison est simple : sur cette planète uniquement, il a quelques millions de suppliques en attente.

– Tu veux dire que nous sommes perdus ?

– Non, Dortha, je pense que c'est notre épreuve et que nous ne serons jugés que sur le résultat, pas sur les moyens. Mais, je suis déjà condamné à l'enfer : j'ai tué et mangé de la chair humaine. D'un autre côté, je ne suis plus que de très loin à Son image.

– Je ne veux pas mourir ! s'écria-t-elle j'ai bien trop peur pour cela.

– Le sérum ne te tuera pas. C'est le virus qui laisse actif une partie du cerveau après la mort pour maintenir les zombis dans un simulacre de vie. Je ne sais pas par quel moyen, mais il doit y avoir une explication. Il n'y a aucune magie là-dedans : je peux t'expliquer chaque phase de création du sérum et j'ai maintenant des théories sur son principe de fonctionnement sur le corps humain pendant la mutation. Cette injection ne tuera personne du groupe, elle les rendra plus fort.

– ça ressemble à ce qu'on nous sert à l'église...

– sauf que je ne crois pas en cette évolution, je sais qu'elle existe avec certainement des vices cachés. Je sais aussi que nous n'avons pas le choix.

Je suis ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant