13 mai 1882

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La Nature au gré du vent. Quoi de plus agréable qu'entendre le souffle s'immiscer entre ces brins d'herbe innocents, les oiseaux chantant en écho sur la propriété et les fleurs colorées naissantes à la lueur aveuglante du soleil de printemps ?

Le manoir et le terrain étaient tellement grands qu'un enfant pourrait s'y perdre aisément. Etait planté sur la propriété, la demeure en bois blanc, à sa droite, les terres travaillées par les esclaves ainsi que la grange aux planches inconfortables et couvertes de paille où dormaient ces Hommes juste derrière.

Si j'avais pu, je savais que je les aurais laissé vivre dans le manoir des Donovan, quitte à ce qu'ils soient serrés les uns contre les autres. La nuit n'était pas chaude, ils manquaient de couvertures et même de vêtements convenables.

Je pensais qu'un jour, j'allais tenir tête à mon père. Même si je me faisais exclure, expulser, bannir de la demeure, ça m'était égal. Le traitement qui leur était donné s'avérait loin d'être approprié pour des Hommes qui nous étaient identiques. On les jugeait pour une couleur de peau, nom de Dieu, une couleur de peau plus embrunie que la nôtre.

Un cri strident m'arracha de mes pensées et fit dévier mon regard planté dans l'étang devant la demeure, vers les terres travaillées par les femmes. Ce fut elle. Frank agitait le fouet sur ses fins bras et son dos, je me levais immédiatement et m'avançais à lui sans l'ombre d'une hésitation.

- Cessez, ordonnais-je durement.

Il se moquait et amena un violent coup sur la concernée.

Dans le but d'avoir une autorité plus prononcée, je me mis devant elle en lui imposant de ne pas faire un pas de plus.

- Vous fleuretez encore ?

- C'est inadmissible, contrais-je en fronçant les sourcils.

- C'est à vous de ne plus éprouver de l'intérêt pour les nègres. Ils sont insignifiants.

- C'est une femme, un être vivant. Pas une nègre.

Le groupe entier remuant la terre depuis plus d'une heure se stoppa immédiatement en m'observant. Je compris qu'ils m'étaient reconnaissants. Un homme noble blanc qui prenait la défense des Noirs discriminés, on n'en voyait pas tous les jours. Mais je restais sur mes positions, laissant Frank parmi les opposants à ma pensée : ma famille.

- Restez imbu et homme dépouillé de la petite noblesse offerte à votre naissance. Eprouver de l'intérêt pour des nèg...

- Ce sont des Hommes, défendis-je en le coupant brutalement.

Il ne fit que de hausser un sourcil intrigué, je l'observais d'un œil irrité et remplit d'une colère noire. Frank n'attendait plus, il échappait à la fin de cette conversation en jetant le fouet rougit par le sang et marchait loin d'un pas furibond.

Cependant, je me retournais vers cette jolie femme arriviste, elle ne m'observait jamais honnêtement et je restais planté devant elle en admirant son visage fin, ovale et mate. Une petite bouche pulpeuse figurait au-dessus de son menton, son nez pointait très légèrement vers le haut et la forme de ses yeux ressemblaient à des amandes grillées au soleil d'été.

Le temps semblait s'arrêter lorsque je la détaillais minutieusement. Ses cheveux frisés me donnèrent envie d'y glisser mes doigts, son cou frémissait, comme si mes yeux brûlaient chaque parcelle de sa peau. Bon Dieu, ce qu'elle était dotée d'une beauté sans égal...

- Jonah, me présentais-je finalement.

Elle ne me répondait pas, je compris enfin que la timidité avait pris le dessus et je tentais une approche pour lui faire comprendre que je ne lui voulais aucun mal, juste la regarder plus longtemps afin de faire plaisir à ce que mes yeux admiraient en ce jour ensoleillé.

Les Amants InterditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant