15 juin 1882

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Dès que le déjeuné avait pris fin, je prétextais avoir besoin de laisser mes pensées s'évader avant d'être marié les quatre jours suivant ce 15 juin. Père n'avait rien dit, il pensait que je prenais véritablement cette union au sérieux, mais en réalité, c'était la fuite du domaine que j'envisageais sérieusement.

Marlène n'était même pas au courant que j'avais une telle idée en tête. J'ignorais encore la répercussion, la nouvelle de la veille l'avait suffisamment brusquée que je ne souhaitais pas en rajouter pour l'instant.

Cela faisait plus d'une heure que j'avais quitté la table, July était revenue à la demeure et Charles lui hurlait dessus depuis un bon moment. Par précaution, Garry avait éloigné son revolver sans qu'il s'en aperçoive, la fureur que père avait développée hier était terrifiante.

̶ Dîtes-le ! Grand Dieu, avouez !

Je siégeais sur une chaise en bois placée à côté du lit dans lequel Marlène se reposait, sa main se crispait dans la mienne en entendant les cris et je caressais le dos de celle-ci en essayant d'achever le roman de Blackmore.

̶ Je prenais des nouvelles d'un ami, n'est-ce pas suffisant comme justification ? haussait July.

Puisque je les entendais si bien, je devinais tout de suite qu'ils se trouvaient au bas des escaliers.

̶ Absolument pas. Qui est le père de l'enfant ? tonnait Charles. Où est mon revolver, sacrebleu ! Vous me mettez en colère, July, que vous est-il arrivé pour penser à l'enfantement d'un bâtard ? Je suis certain que le père n'est pas digne de notre famille !

Bien évidemment, c'était une fausse excuse. Il ne voyait pas le mot « famille », mais le mot « argent » en y associant le « mariage ». Ce n'était qu'un prétexte pour nous faire croire que cette unité tenait toujours après le départ aux Cieux de maman. Quelle honte.

̶ Je ne donnerais de nom, contestait ma petite sœur avec aplomb.

̶ Garry, le revolver !

̶ Je n'en n'ai possession, intervint mon oncle.

La main de Marlène se crispa à nouveau, je lui jetai un coup d'œil puisque son visage était tourné vers le mien et lui demandais de tourner la page puisque mon autre paume était tenue par la sienne et je ne souhaitais pas rompre ce contact que j'aimais tant.

̶ Vous allez me rendre fou ! crachait-il jusqu'à faire trembler la demeure.

Et c'était ainsi qu'un détail me frappait brutalement. La folie. Un pauvre médecin était intervenu au manoir peu de temps, nous pensions tous qu'il racontait des sottises mais je réalisais que ses dires étaient fort possible.

Dégénérescence croissante, douleurs musculaires et maux de tête fréquents malgré l'acharnement dont il faisait preuve dans son bureau, incapacité à se gérer, trouble de la mémoire qui le forçait à demander à un scribe de noter les lettres et les références et aventure il y avait peu avec une femme fortunée -forcément.

Ça ne pouvait être que ça. Pauvre médecin, certes, mais suppositions exactes.

̶ Le mal de Naples... chuchotais-je pour moi-même en abaissant le livre.

̶ Qu'avez-vous dis ? relevait-elle confuse à côté de moi.

̶ Père est atteint du mal de Naples, répétais-je de plus en plus convaincu. Cela expliquerait ses attitudes abusives qui durent depuis plus de sept mois.

̶ Le mal de Naples ?

̶ Une maladie sexuellement transmissible. Elle provoque des chancres et c'est mortel. Bon sang !

Les Amants InterditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant