25 mai 1882

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Lorsque j'ouvris les yeux, une lumière aveuglante perçait mes paupières fines et ma montre à gousset étalée sur le terrain indiquait neuf heures du matin.

Charles devait probablement me chercher à cette heure-ci, mais je ne regrettais en aucun cas ma fuite précipitée. J'en avais besoin, c'était nécessaire pour qu'il réfléchisse à ses paroles imbuvables, mais aussi pour que je puisse me libérer l'esprit sans être dérangé de bonne heure.

Je me remis sur pied, aperçus Isaac prenant appui sur un prunier pour se nourrir et un sourire fendit mes lèvres dès que je me grattai la tête.

Une source d'eau se trouvait à côté, je m'approchais de l'étendue claire, y plongeait mes mains pour humidifier mon visage endormit et Isaac arriva à mon niveau, silencieux en collant son nez à mon dos. Je caressais son chanfrein ainsi que ses joues afin de lui apporter une certaine affection.

Ce pur sang arabe noir aimait beaucoup être le centre de mon attention, il demandait peu de soins, certes, mais suffisamment de cajoleries pour me faire songer à un rôle paternel à son égard.

- Isaac, sifflais-je pour qu'il arrive à mon niveau.

Il venait de s'en aller boire, soit sa bouche était humidifiée, voire trempée. Il secoua sa tête, faisant voler sa crinière noir ébène, et je m'approchai lentement de lui pour grimper sur son dos et rentrer au domaine, à quarante minutes d'ici en alternant le galop et le trot, me semblait-il.

Ce jour-ci, le temps était beau, le ciel était masqué de nuages épars mais il était éblouissant. J'appréciais beaucoup cette couleur des Cieux, la Nature était tant bien faite que j'admirais chaque paysage d'un œil curieux, inquisiteur et particulièrement scrupuleux.

Galopant à toute allure dans les plaines, je me sentais léger et doté d'une puissance de rapidité sans égal, cette sensation de fraîcheur et de liberté réjouissait entièrement mon âme enchantée par une femme charmeuse.

Mes bouclettes châtaines volaient au vent qui me fouettait le visage, je lâchais une de mes deux mains du bridon, l'accessoire servant à diriger l'animal, et j'osais enfin hurler le nom de la femme que je commençais à éprouver affection.

Ce n'était en aucun cas Constance, ma promise élevée dans la bourgeoisie française, non, c'était l'esclave aux chevilles abîmées et au dos blessé, que je nommais dans l'air. J'étais fier de ressentir de vraie choses et je savais que je les garderais, quelles qu'en soit les conséquences et les évènements prochains.

Le manoir pointait le bout de son nez alors que je suivais le sentier terreux sur le dos d'Isaac, essoufflé par le galop continu que je lui ordonnais. Hormis Garry veillant les esclaves, nul ne se trouvait à l'extérieur. Mon regard cherchait immédiatement Marlène, mais je me rendis compte qu'elle me fixait depuis un instant.

Elle avait remarqué mon absence de ce matin puisque je quittais ma chambre pour rôder sur le terrain sur lequel les esclaves travaillaient de force et non de plein gré.

J'amenais Isaac sous la toiture boisée lui permettant de s'abriter, lui retirait le bridon pouvant le gêner et passais une simple corde autour de son cou, laissant le volet supérieur ouvert afin qu'il puisse observer les environs.

D'un pas déterminé, j'avançais jusqu'à la demeure pour me changer et me passer la savonnette si ma sœur ne se trouvait pas dans la salle de bain.

- Où étiez-vous passé ? intervint Charles derrière moi.

Je cessais tout mouvement alors que je ne grimpais que les deux premières marches des escaliers, mon sang se glaçait, j'avais conscience que je devais l'affronter dès mon retour au manoir.

Les Amants InterditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant