8 juin 1882 (1)

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̶  Cessez de m'observer ainsi, tranchais-je pendant qu'elle arpentait jusqu'à la grange.

A cet instant, c'était peine perdue. Mais je ne comptais la laisser me fuir et m'ignorer de cette manière plus longtemps. Certes, elle était timide, mais lorsqu'elle était décidée à me torturer par son mutisme, elle m'étonnait beaucoup.

Elle avait compris que son silence me bousillait, qu'il me broyait de l'intérieur, qu'il m'insupportait plus que tout et surtout, qu'il me rendait malléable et loin d'être indifférent.

̶  Marlène, je vous en prie, répétais-je en marchant derrière elle.

Je soupirais, la suivais de près en fixant son dos meurtrit par le fouet de la veille et portais mon attention sur son visage concentré à empiler des moitiés de rondins fraîchement tranchés.

̶  C'est Charles Donovan, mon père, qui m'en obligeait, je n'avais d'autres choix que de lui consacrer du temps !

Ça devait faire déjà dix minutes que je lui rabattais encore et toujours la même chose. Mais aussi forte qu'elle puisse être, elle faisait comme si ma présence à ses côtés l'indifféraient. Or, les frissons sur ses bras m'indiquaient que je provoquais toujours un effet considérable sur son corps. Même durement fâchée contre moi.

̶  Vous êtes jalouse, Marlène, balançais-je à bout de nerfs.

̶  Je n'en veux plus, tenez, articulait-elle enfin en plaquant brusquement la montre à gousset à mon torse.

Effaré, je ne la saisissais pas. Je voulais qu'elle la garde, je la lui donnais. Elle ne fut pas de cet avis alors elle laissa l'objet tomber au pas de la grange puisque je ne le tenais pas entre mes doigts.

̶  Écoutez-moi.

Se remettant trop rapidement à la tâche en faisant un aller retour avec les rondins de bois, je la regardais faire, silencieusement. Comment allais-je m'y prendre pour la raisonner ?

̶  Je ne l'aime toujours pas, dévoilais-je une nouvelle fois. C'est Frank qui la séduisait hier, je l'évitais avec succès.

Cette fois-ci, elle jetait les rondins de bois dans le char fixe. Je compris qu'il fallait que j'augmente mes thèses de plusieurs crans pour la convaincre de me pardonner, mais aussi de continuer à vivre ce que nous partagions secrètement.

̶  Je n'ai jamais risqué quoi que ce soit pour elle. Vous et moi avons pourtant passé une excellente nuit près du lac, la dernière fois. Ça ne m'était jamais arrivé depuis longtemps !

̶  Et bien cela n'arrivera plus jamais encore, tremblait-elle dans m'observer.

Mon cœur fit un violent loupé douloureux. Ses mots étaient crus, ils s'enfonçaient trop brutalement en mon âme.

̶  Vous êtes la seule à qui j'ai confié cette montre à gousset, déclarais-je gravement en ramassant l'objet dans la terre.

C'était maintenant ou jamais que je devais lui confier autre chose à propos de cette montre à gousset, amorçant véritablement notre relation ambigüe.

Sans elle, nous n'en serions pas à là ce jour-ci. Sans elle, elle n'aurait jamais pu m'attendre à neuf heures près de la porte de la grange pour dormir près du lac. Sans elle, Marlène ne serait pas autant jalouse puisqu'elle avait senti notre rapprochement lors de la dernière nuit.

̶  Elle appartenait à ma mère qui est décédée depuis cinq années, déjà. Je n'avais que seize ans.

Ses yeux de biches se posèrent immédiatement sur moi. J'avais son attention même si elle me maudissait intérieurement. C'était déjà ça.

Les Amants InterditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant