2 juin 1882

1K 107 2
                                    

J'étais assis dans la bibliothèque, ou plus exactement, la pièce dans laquelle la robe de mariage de ma mère reposait sur un dressoir de chambre. J'achevais mon chapitre quand Charlotte vint me tenir compagnie.

Ces jours-ci, nous bavardions assez. Elle avait compris que j'avais passé la nuit du 31 mai dehors sans fermer l'œil, mais elle ne m'avait pas demandé pourquoi puisqu'elle supposait que j'étais seul et que le besoin de songer à l'extérieur m'aidait à gagner ma conscience envolée.

- Qu'est-ce que tu lis ?

- Lorna Doone.

- Ce roman se finit tristement. Et le personnage n'est pas le meilleur homme sur Terre. Il est misogyne et abject, critiquait-elle en montrant une grimace.

- Ce n'est pas pour autant que le roman est mauvais, contrais-je malgré ses dires véridiques.

Elle hochait la tête en regardant par la fenêtre, je fermais le roman de Richard Blackmore et la rejoignais en silence.

- Je suis peinée, Jonah.

- Est-ce la fin de ce roman qui t'attriste autant ? questionnais-je en regardant son visage.

Charlotte était une femme intelligente qui aimait beaucoup s'instruire. Il lui arrivait souvent d'être morne lorsque la fin d'un roman ou bien un conte ne lui convenait pas vraiment. Elle envisageait d'autres alternatives complexes, mais sauvant la situation du ou des personnages qu'elle admirait.

- Non. Ce sont les esclaves qui souffrent autant, corrigeait-elle en tournant le dos à la fenêtre.

C'était aussi une femme censée. Voilà pourquoi j'avais plus de facilité à entretenir une conversation présomptive qu'avec les deux autres membres de sa fratrie, Frank et Jane.

Pendant ce temps-là, je percevais Marlène discutant avec un homme en allant vers la grange. C'est alors qu'une pointe de jalousie m'emparait. Bon Dieu. Quelles étaient ces ardeurs étranges qui emplissaient mon cœur ?

- ... écoutez ?

- J'ai l'esprit occupé. Navré. Je t'écoute, lui disais-je en fixant la broderie sur le fauteuil.

- Frank a beau être mon frère, il est un monstre.

- Je compatie.

- Tu compatis ! répétait-elle étonnée.

Je venais tout juste de montrer mon intérêt supérieur pour les esclaves face à celui de mon cousin. Je me maudissais ; si je continuais sur cette voie, j'allais dire à tout le manoir que j'aimais profondément Marlène.

- C'est une brute, ajoutais-je pour diverger ses hâtives conclusions.

- Enfin quelqu'un qui m'écoute ! s'exclamait-elle en levant les bras au ciel.

Laissant un faible rire quitter mon gosier, je plongeais ma main dans ma poche de veston et découvrais que ma montre à gousset avait disparue. Devais-je comprendre que Marlène l'avait gardée pour me revoir ?


Les Amants InterditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant