4 juin 1882

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Je me promenais sereinement à côté du fameux lac. Chaque fois que j'y mettais les pieds, je me souvenais des doigts de Marlène serrant mon vêtement, son corps tremblant de froid contre le mien avant de se réchauffer et ses douces paroles planaient dans mes rêves. Chaque nuit depuis celle du 31 mai.

« Je vous l'instruirais ». J'en devenais fou, j'ignorais quelle magie effectuait-elle sur mon cœur, mais je ne voulais pas qu'elle cesse d'exercer ce sort passionnel. Est-ce que je lui faisais le même effet ? Cette interrogation n'arrêtait pas d'encombrer ma raison.

« Mon cœur palpite », me confiait-elle doucement. J'osais croire que c'était possible et un sourire béat se figea sur mon faciès qu'elle qualifiait agréable au toucher.

Des sabots frappaient le sol à quelques mètres de moi, Constance descendit gracieusement de la calèche, je feintais de ne pas la remarquer mais elle hurla mon prénom. Ô grand désespoir, qu'avais-je fais pour être puni de cette manière ? Ne pouvait-on pas remplacer cette femme par une autre qui me divertissait ?

- Bonjour, saluais-je en laissant mes mains derrière mon dos et en arpentant la butte de terre pour l'empêcher de me rejoindre à l'étang.

Ce n'était pas un endroit qui lui était destiné. Ce lac était tout, un havre de paix où les songes de Marlène s'envolaient avec les miens. Constance de Clairet ne devait pas changer la perception de ce lac. Elle était un fléau pour ce lieu.

- Comment... al-allez-vous ? articulait-elle dans un pitoyable anglais.

- Je me porte bien et vous ?

- De même, répondit-elle.

Elle me montra son bras, signe qu'elle souhaitait se promener en ma compagnie, et sous le regard perçant de Charles, je fus obligé d'accepter cette invitation qui me contrariait plus qu'autre chose. Cependant, je déviais son bras qui voulait encore se suspendre au mien.

Posant un pied devant l'autre en jetant des coups d'œil à Marlène, Constance se réjouissait de l'air soufflant sur le terrain, d'après ce que je comprenais en sa langue natale. Elle admirait le ciel bleu, riait aux éclats en répondant aux oiseaux qui chantaient puis le sombre et premier regard de Marlène s'abattit sur moi.

Je n'y vis qu'une seule et unique issue : la jalousie.

C'était évident, je n'avais pas pu prendre de ses nouvelles la veille à cause de ma promise. Je m'en voulais. Terriblement qu'elle soit apte à voir mon attitude obligatoirement polie. Tellement que j'en souffrais aussi pour elle.

- Venez, me proposa-t-elle en s'allongeant dans l'herbe.

Ne quittant pas Marlène des yeux qui se réfugiait dans la grange pour me fusiller encore, je sentis la main de Constance frôler la mienne. Je la laissais faire, puis m'écartais vivement de ma promise dans le simple but de lui montrer que jamais rien ne se passerait avec elle.

- Restez ici, décidais-je en m'éloignant.

Je contournais la demeure pour fuir les yeux accusateurs de ma famille, déterminé à me justifier sur mon absence qui mortifiait et torturait mon cœur lié au sien.

Dès que je fus à sa hauteur, elle reculait rapidement en serrant ses bras contre elle. Elle était fâchée, contrariée, en désaccord et pour une fois, elle ne s'en cachait pas, bien qu'elle soit timide à chaque fois que nos êtres étaient proches.

- Marlène... débutais-je en rabattant une mèche de cheveux.

Les siens étaient toujours noués avec un bout de tissu, ses yeux étaient larmoyants et sa respiration s'accélérait. S'ils laissaient tomber des larmes, je ne supporterais pas de voir le mal que je provoquais. Elle tremblait même par ma faute !

- Laissez-moi, monsieur Donovan.

Mes suppositions se confirmèrent, elle était furieuse et jalouse du temps que je passais avec Constance.

- Je n'ai pas eu le choix, si vous saviez le nombre de fois que votre visage comble mes pensées.

- Le vôtre m'envahit et m'encombre sévèrement, lâchait-elle en reculant.

Je soupirais, m'accroupissais pour défaire ses anneaux mais elle régressait encore en quittant la grange. Elle avait fui. Et cette fuite ne faisait que m'apprendre que je ne contrôlais plus la situation, c'était elle qui me tenait fermement.

- Jonah ?

- Laissez-moi, Constance.

Mon cœur se crispa en prenant conscience que je l'avais déshonorée. J'avais couché à ses côtés et je rôdais autour d'elle avec une autre femme. Je savais que je méritais cette douleur, mais je savais aussi que je n'allais pas tarder à déclencher mon stratagème avec l'aide d'Alfred.

Fuyez-moi, Marlène, je vous suivrai toujours.


Les Amants InterditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant