Alice & Pan

Chapitre 7 : Le Lac Bleu

Je suis sous une couverture chaude et je me sens faible. Je voyais flou, au début puis je me mis à cligner plusieurs fois des yeux pour retrouver une vue à peu près nette. Je reposais dans une cabane mais je ne savais pas laquelle c'était. Ce devait être la mienne, sans doute. Je me levai faiblement dans le lit et m'adossa en soupirant. Je regardai mon avant-bras qui me faisait souffrir : il était pansé.

-Déjà réveillée ?

Jefferson était assis sur le bord du lit, me fixant en remettant son chapeau en place.

-Pourquoi est-ce que tu viens sans cesse, l'accusais-je d'une voix frêle. 

Il se mit à rire.

-Je fais ce que je veux.

-Non !

La porte de la cabane s'ouvrit brusquement.

-Qu'est ce qui se passe ? Tu es réveillée !

Peter Pan se tenait là, l'air énervé mais soucieux. Jefferson était toujours là mais je savais très bien que Peter ne pouvait pas le voir.

-Est-ce que j'ai réussi mon épreuve ?

Il rit et leva les sourcils avec étonnement.

-C'est assez étonnant que tu demandes ça. D'habitude quand on se réveille après s'être évanoui pendant un certain temps, on demande combien de temps on a dormi, ou ce qu'il s'est passé pendant qu'on dormait.

-Il n'est pas très aimable, ton ami, m'interpella Jefferson.

Je ne fis pas attention à lui puis dit à Peter :

-J'aime bien ne pas être normale.

Il fit un petit rire étouffé. Je continuai :

-Réponds-moi, est-ce que j'ai accompli mon épreuve ?

Il pointa mon bras du doigt et répondit :

-C'est une preuve suffisante pour te démontrer ta défaite.

-Mais tu avais dit...

-Je t'ai dit que si tu revenais sans aucune blessure et indemne tu aurais réussi ton épreuve mais là, en l'occurrence, tu es tombée dans les pommes. J'ai dû de te ramener ici et je peux te dire de freiner sur les friandises si tu veux que je te sauve à nouveau. Si je n'avais pas été là, tu serais morte à l'heure qu'il est.

-Tu veux que je te remercie ? 

-Oui.

-Je vais devoir aller au cachot ?

-Parce que tu n'as pas réussi ton épreuve ? Rien. Je ne suis pas un barbare. Le cachot, c'est pour les gros délits. Là, tu as accepté mon défi et même si tu ne l'as pas réussi, je ne t'enfermerai pas au cachot... pour cette fois.

Il se leva, se dirigea vers la porte de sortie et ajouta :

-La prochaine fois que tu te fais une entaille pour faire croire que tu t'es battue avec crochet, fais ça mieux.

Quel culot ! Je me sens honteuse de m'être fait ça pour rien ! Je me mordis les lèvres en me sentant coupable de m'être infligé cela. Jefferson était toujours là, à scruter ses ongles. 

-Il a été clément, Alice. Il ne sera pas toujours de ton côté, sache-le.

-Je le sais bien mais il vaut mieux l'avoir de son côté parce que s'il ne t'aime pas, tu es bon pour passer un mauvais quart d'heure.

Il soupira :

-Ce que tu peux être naïve, des fois.

-Je ne suis pas naïve ! C'est la pire insulte que tu puisses me faire ! 

Je ferme mes yeux et cries :

-Va t'en !

Pourquoi m'embêter avec cette vision ? Je dois le laisser s'en aller, sinon il fera des dégâts sur mon esprit. Il n'est pas là, il n'existe pas. Il faut qu'il parte et que je ne pense plus au passé, il faut que je vive mes jours comme si il n'y avait pas de passé, comme si c'était le dernier. Fini la tristesse. Il faut que je sorte de la poussière, que je me lève contre ma propre conscience, contre moi. 

J'essayai de me lever avec faiblesse. Je me dirigeai vers l'armoire massive puis en sortit quelques habits, toujours blancs, que je mis directement. Je sortis de la cabane et descendis de l'arbre sur lequel elle se trouvait. Je pris la direction de la grande tente déserte et m'assit sur l'un des bancs vides. J'avais mal. J'enlevai mon bandage en poussant des jurons. Ma blessure était énorme : elle faisait la longueur de mon avant-bras et était encore ensanglantée.

-Alice !

Je me retourne et vois Flint qui se dirige vers moi en courant.

-Tu vas mieux ? Peter nous a raconté ce que Crochet t'a fait !

Il ne leur a donc pas dit que je m'étais fait ça moi-même. Je ne savais pas si c'était une bonne chose ou non.

-Je lui ai botté les fesses, oui ! Cette blessure est le prix pour l'avoir ridiculisé.

Il se mit à rire.

-Tu viens ? On est tous au lac bleu !

-Le lac bleu ? C'est quoi ça ?

-C'est un chouette endroit dans la forêt : un lac où une cascade se jette, c'est plutôt joli et on peut se baigner.

-Je suis pas d'humeur à me baigner mais je suis bien curieuse de découvrir cet endroit. 

-Allons-y, alors !

Je me levai puis remis le bandage en route en râlant, ce qui fit pleurer Flint de rire. Il me dit que j'étais une trouillarde mais je ne lui ai pas encore montré de quoi j'étais capable. C'est très étrange de bavarder avec un enfant si jeune mais qu'il ait tant de conversation. Après une dizaine de minutes de marche, Flint et moi arrivâmes au lac.

Lorsque je vis la vaste étendue d'eau turquoise remplie de garçons qui jouaient entre eux, j'avais la bouche ouverte, tant c'était magnifique.

-Eh ! m'interpella Flint. Laisse pas ta bouche ouverte comme ça, des mouches pourraient entrer !

-Très drôle.

Il rit, s'avança et plongea dans l'eau translucide. Je m'assis sur une souche en souriant comme une débile parce que ça rend heureux tant de joie devant soi. Quelqu'un vint s'asseoir sur la souche voisine : ce diable de Peter me gâche toujours un tableau paisible comme celui-ci. 

-Tu ne veux pas te baigner ? commença-t-il.

-T'as vu mon bras? Et toi ?

-Je ne vais tout de même pas te laisser seule, n'est-ce pas ?

Mon ventre commença à gargouiller. La honte. Il rit en levant un sourcil avant d'ajouter :

-Tu as faim ?

-Plus que faim, ça fait des jours que j'ai pas mangé, je te rappelle. 

-Viens avec moi, on va au camp et je te trouverai quelque chose à te mettre sous la dent.

Nous nous levâmes et il me nargua sur tous mes faits et gestes, comme toujours. Ça commençait à me faire rire, tout ça. Il faut peut-être parfois oublier son passé pour que le futur soit encore plus clair et brillant qu'avant. Il avance et je suis ses pas.