Chapitre 29 : Le Miroir

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Blake m'emmena devant un grand mur tapissé de portes. Elle alla tout au fond du couloir et ouvrit l'une des entrées.

-C'est ma chambre, je le partagerai avec toi. Un de mes lits est libre. Entre donc !

J'entrai et vit deux lits, un lavabo surmonté d'un miroir, un bureau et une armoire. Il n'y avait rien de spécial à part une photographie au-dessus de l'un des lits de ce qui semblait être une famille heureuse avec deux enfants, une fille et un garçon.

-C'est ta famille ?

-C'était. Ils les a tous tués sous mes yeux, à cause de mes pouvoirs. Ils voulaient m'enlever et mes parents ont voulu les en empêcher. Norman à juste eu le temps de me recueillir ici après que je me sois enfuie de l'endroit où ils me retenaient prisonnière. Ils tuent ta famille, ensuite ils t'anéantissent à petits feux, jusqu'à ce que la plus petite parcelle d'humanité en toi soit arrachée. C'est comme ça qu'ils fonctionnent. Ils t'utilisent. Pour ça, ils utilisent tes pouvoirs et t'exploitent jusqu'à la fin.

Elle regardait le sol avec une nostalgie des plus profondes.

-Tu aimes les photographies, n'est-ce pas ?

-Ce que j'aime à propos d'elles, c'est qu'elles capturent un moment qui est parti, qui est impossible à reproduire. Les gens dessus ont un sourire de glace que rien ne peut faire fondre.

Je lui souris et lui demanda :

-Ce lit est à moi, alors ?

-Absolument !

Sa bonne humeur avait tout de suite repris le dessus après cette intermède mélancolique. Je m'assis et une alarme assourdissante retentit dans tout le hall. La voix de Norman sortit des boîtes noires :

-C'est l'heure du dîner ! Ce soir : Spaghetti carbonara et en dessert en exclusivité, les fameuses gaufres de Rainer.

Elle sortit en même temps que moi et me remontra l'endroit où nous allions manger. Il y avait une table qui ne finissait plus et qui me faisait penser au banquet du Pays des Merveilles. Je m'assis à côté de Blake et deux garçons d'environ quinze ans vinrent en face de nous.

-Eh, Blake ! Tu pourras m'entraîner au tir après ?

-Tu ferais mieux d'aller te coucher, une longue journée nous attend demain.

Le garçon soupira. Cette fille devait avoir pas mal d'autorité sur les gens, ici. Elle regarda venir au loin de ses yeux noisettes quelques personnes de la communauté, des plats dans les mains. Un plat de sortes de serpents jaunes trônait devant moi.

-C'est quoi ce truc ?

-Des spaghettis. C'est pas mauvais, goûte.

Je me servis de cette nourriture et introduit ces spaghetti dans ma bouche non sans difficulté. C'était absolument différent de tout ce que j'avais déjà mangé. C'était divinement bon. Je terminai l'assiette en un clin d'œil.

-Je suis rassasiée !

-Tant mieux.

Je me levai de la chaise juste avant d'être interpellée par Blake qui était intriguée par mon attitude apparemment :

-Tu ne veux pas manger de gaufres ?

-Je n'ai plus faim. Et puis j'ai besoin de me reposer.

Elle haussa les épaules et continua de parler avec les deux garçons tandis que moi je me dirigeais vers la chambre. Après avoir traversé le hall, j'entrai dans la tanière de Blake et enleva mes bottes qui m'étaient si chères. Après m'être assise sur le lit, je sortis la photo de ma poche et la contemplai : ce sourire qui pouvait être détestable, ces yeux parfois menaçants et cette pose quelquefois répugnante. Mais sur ce cliché, rien n'avait de quelconque faille, tout était parfait. Ces bras gentiment rangés derrière ce dos. Peter Pan ne pouvait pas être plus charmant. On ne distinguait pas la couleur de ses yeux mais je pouvais simplement me l'imaginer, ses yeux émeraudes me scrutant, me lâchant une remarque désobligeante. Des choses qui ne sont plus que des souvenirs. Je me mis à sangloter en pensant que je n'entendrais peut-être plus jamais ce rire sarcastique, cette voix envoûtante.

Quelques minutes plus tard, je me levai du lit et me regarda dans la glace qui se trouvait sur l'un des murs. Lorsque Blake reviendrait, ces yeux rouges me trahiraient. Soudain, une ombre se traça dans le miroir, jusqu'à devenir complètement nette. Encore une hallucination. C'est certain. Peter Pan qui est appuyé sur quelque chose et qui fixe le sol. Je me frottai les yeux, ce qui faisait normalement disparaître l'illusion mais lorsque je rouvris les yeux, il était toujours là. Je tenta de me pincer à plusieurs reprises, mais toujours rien ne disparaissait de mon champ de vison.

-Peter ! criais-je en frappant sur le miroir comme sur une porte.

Il leva la tête et me regarda avec un air choqué et me répondit :

-Alice ? Est-ce que c'est vraiment toi ? Je dois rêver.

Il m'avait répondu. Il détourna le regard.

-Non ! Je suis là ! Je suis en vie et je vais bien !

Il se leva vers moi et mon coeur s'emplissait de soulagement mêlé à de la douleur au fur et à mesure qu'il s'approchait de moi. 

-Où es-tu ?

-Dans le monde des non-croyants. Des gens m'ont recueillie ici et ils ont eux aussi des pouvoirs !

-Je ne sais pas quoi penser. Je vais te retrouver, je te le promets.

-Nous savons tous les deux que c'est impossible. Il faut que je me débarrasse de mes ténèbres d'abord, et j'y parviendrai en aidant ces gens, je le sais, je retrouverai la lumière.

-J'ai confiance en toi. J'ai une idée pour que je puisse te rejoindre. Ne t'en fais pas.

L'image au travers du miroir commença à se brouiller.

-Je t'aime, Peter Pan.

-Et moi d'avantage.

Je mis une main sur la surface de la glace et il la plaça lui-aussi. L'image se flouta jusqu'à ce que je ne vis plus Pan de l'autre côté du miroir. Je ne savais plus quoi penser, quoi faire. Je m'assis par terre et lâcha un flot de larmes semblable à un torrent sans fin. Il a une idée, tiens donc. Je me demandais ce qu'elle était et je ne préférais pas le savoir. Tout d'un coup, Blake entra dans la pièce et courut vers moi, choquée de ma situation.

-Que s'est-il passé ? Tu vas bien ?

-Tu ne me croirais pas si je te le disais.

J'étais fatiguée. Fatiguée de toutes les épreuves que j'avais dû subir aujourd'hui, fatiguée d'être moi, fatiguée d'avoir un poids si lourd sur mes épaules.

Une petite ado minable du pays des Merveilles est devenue une gigantesque bombe à retardement.

Alice & PanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant