Vie d'une Fille Compliquée

Chapitre 22

Je passais le trajet mal installée sur le siège trop petit, comme d'habitude. Ma barre de céréales était déjà tombée deux fois à cause de ma maladresse, mais aussi de ma main bandée.

Je laissai la banlieue derrière moi pour redécouvrir les paysages de la campagne qui m'apaisaient tant.
Un simple coup d'œil par la fenêtre sale suffit à me faire renoncer à mon exercice d'SVT sur la reproduction animale.

Je me perdais dans les champs de blés et les prés dans lesquels paissaient quelques moutons paresseux. Les forêts de pins me faisaient penser à celles des contes de fées. On ne roulait pas vite, et j'avais tout le temps de contempler le paysage à loisir.

Je connaissais la route par cœur maintenant. Le chauffeur allait tourner à droite pour prendre une route récemment rénovée et se diriger à l'entrée du village où ma grand-mère allait faire ses courses.

Pour une fois, je n'avais pas mis mes écouteurs. Je profitais du calme du compartiment pour me détendre à fond. Mon après-midi avait été stressante, j'avais besoin de décompresser.

J'avalai une dernière gorgée de jus de fruit et me préparai à descendre.

Il y avait un arrêt près de la place de l'église où ma grand-mère venait me chercher. Sauf que là, il n'y avait personne en vue. Tout était parfaitement désert.

Je le sentais venir gros comme une maison.

Le pire, c'est que mon portable n'avait presque plus de batterie.
Eh non, je ne faisais pas partie de ces addicts qui se précipitaient sur l'unique prise de disponible dans la classe pour brancher leur iPhone et tenir une heure supplémentaire.

Je connaissais quelqu'un qui avait fini par frapper son voisin juste pour ça.

Une fois arrivé au terminus, l'homme à moustache qui conduisait me demanda si c'était bien là que je me rendais. Je lui répondis que oui avec lassitude et lui souhaitai une bonne soirée avant de descendre à moitié abattue.

Je n'avais jamais fait le chemin jusqu'à chez ma grand-mère à pieds, mais je savais qu'elle n'habitait pas très loin.

Restait à savoir si j'avais le courage de traîner mon sac sur deux bons kilomètres, sachant que le soleil se couchait derrière la colline de l'autre côté de la vallée.

Je trébuchai sans faire exprès sur un caillou et me retournai en reconnaissant le klaxon caractéristique de ma deux chevaux préférée.

Elle n'avait pas oublié !

La vieille voiture verte à la peinture toute écaillée s'arrêta en grinçant, et ma grand-mère se pencha pour ouvrir avec peine la portière de mon côté.

Son visage ridé rayonnait, et je remarquai qu'elle avait été faire un tour chez le coiffeur. Ses cheveux gris sur le dessus comportaient désormais quelques mèches roses. Son parfum à l'odeur forte et entêtante laissa échapper un peu de son effluve au dehors.

Elle m'avait beaucoup manqué.

-Monte vite, ma pâquerette ! Le temps a fraîchi, tu vas attraper froid.

Je ris en m'enfonçant dans le siège à ressorts en plaid. J'aurais pu m'endormir sur-le-champ et rester recroquevillée comme un bébé tant la matière était souple et agréable.

Je collai une bise sur les deux joues de ma grand-mère qui avait déjà repris le volant et fixai la route rocailleuse comme si elle participait à un rally en plein désert.

Elle était une fervente passionnée d'automobiles. On passait parfois des soirées entières regarder les grands prix des années quatre-vingt-dix sur son petit téléviseur poussiéreux.
Sa réaction à la fin de chaque course variait à chaque fois, ce qui m'amusait beaucoup.