Vie d'une Fille Compliquée

Chapitre 10

La cantine était bondée, comme à son habitude.
J'avançais péniblement dans la fille d'élèves incroyablement bruyante et agitée en ce jeudi midi, forçant un sourire en passant devant les cuisiniers. La fille derrière moi m'écrasa plusieurs fois les talons, et je pinçai les lèvres pour ne pas hurler de douleur. J'espérais qu'elle était vraiment, vraiment maladroite.

Au bout de la quatrième fois, je craquai. C'en était trop.
Je me retournai en essayant d'afficher une expression neutre pour masquer ma colère.

-Tu pourrais arrêter, s'il-te-plait ? Parce que ça devient vraiment agaçant.

Je m'immobilisai en découvrant que celle qui massacrait innocemment mes chaussures n'était autre que Sarah Souley, bombasse au Q.I. égal à sa moyenne générale qui partageait mes cours depuis plus d'un an. Julia et moi l'avions amicalement renommée S.S., en hommage à l'escadron militaire d'Adolf Hitler réputé pour être, comment dire, pas super sympa.

Cette petite bimbo avait à elle seule plus d'argent en poche que le directeur du lycée lui-même, argent qu'elle dépensait sans aucun doute dans du maquillage de marque et des vêtements aux prix à trois chiffres.

Sa beauté n'égalait que sa stupidité, c'est vous dire à quel point l'échelle était placée haut.

Ses nombreuses qualités avaient tapé dans l'œil de Zack quelques jours seulement après la rentrée des classes, et les deux célébrités avaient suscité des commérages intarissables pendant les semaines qui avaient suivies. Photos douteuses affichées dans les couloirs, paparrazi dans les toilettes des filles, messages chauds bouillant postés sur la toile...

Je ne savais pas si toutes ces conneries étaient montées à la tête de Zack ou s'il avait comme d'habitude décidé de passer à une autre victime, mais toujours est-il qu'il avait quittée sa douzième copine au bout d'une durée record d'un mois.
À croire qu'elle était un sacré bon coup, ce dont je ne doutais pas une seconde.

Les chiffres ne venaient pas de moi, Julia était reporter pour le journal de l'école et connaissait les plus sombres secrets de l'établissement.
Un agent hors pair qui divulguait la moindre information susceptible de faire le buzz.

Bref, Sarah Souley avait son petit groupe de stars populaires sans cesse sur les talons et méprisait tout être normalement constitué qui osait lui adresser la parole en public.

Je la regardai pincer ses lèvres du même rouge que les betteraves servies dans le bac derrière la vitre et réprimai un petit rire sarcastique.

-Oups, je t'avais pas vue. Enfin bon, tu dois être habituée, lâcha-t-elle en balançant l'une de ses longues mèches noires derrière son épaule.

Ma main se crispa sur le rebord du plateau. Heureusement que je tenais quelque chose dans les bras, sinon je peux vous assurer qu'elle ne l'aurait pas sentie venir.

-Je ne jouerais pas à ça si j'étais toi. Un accident est si vite arrivé...

Je ponctuai ma dernière phrase en faisant dangereusement pencher mon milkshake au-dessus de ses baskets à strass.

Elle écarquilla les yeux de stupeur avant de secouer la tête pour m'ignorer royalement.

La dignité princière, ce précieux joyau que seuls les élèves issus du même rang social peuvent briser...
À ma plus grande déception.