Chapitre 2

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-Bonjour !

Je retirai l'élastique à mon poignet et m'attachai les cheveux avant de m'installer à table. Ma mère déposa un baiser sur mon front tout en se versant du café et me demanda si j'avais bien dormi.

-Ça va. Je crois que je vais avoir une bonne note pour mon devoir.

J'avais passé la nuit dessus, il me semblait donc impossible de ne pas être justement récompensée.

Je partais toujours du principe que lorsque quelqu'un se tuait au travail, il méritait un résultat à la hauteur de ses attentes. Du moment que l'on y mettait du cœur, je ne voyais pas pourquoi est-ce que les professeurs devaient nous rabaisser.
Mais cette vision des choses ne dépendait visiblement que de moi.

Je mâchais mes céréales avec lenteur, sans me soucier du temps qui passait. J'avais horreur de me presser, mais je n'avais encore jamais loupé mon bus pour autant.

L'arrêt n'était qu'à quelques pâtés de maison, ce qui me réduisait déjà mon temps de marche. Et puis, j'avais toujours eu une sorte de don qui faisait que je savais approximativement l'heure qu'il était à chaque instant, et je ne me trompais que très rarement.

J'écoutais distraitement ma mère qui se plaignait une fois encore de ses élèves, qui faisaient de sa vie un enfer. Je ne pouvais m'empêcher de la plaindre. Même si je n'éprouvais que de l'aversion pour le métier qu'elle exerçait, je reconnaissais que nous lui devions beaucoup. Une fois rentrée à la maison, elle préparait à manger et remettait un peu d'ordre dans chaque pièce. Une vraie maniaque.

Mais je l'aimais. Même si je ne lui avouais pas directement, je la remerciais sans cesse pour tout ce qu'elle faisait pour nous trois. Elle apportait l'ordre et le confort avec une incroyable tendresse maternelle, ce dont nous avions pleinement besoin.

Mon père, chirurgien en centre ville, était lui aussi très occupé par son travail. Il ne s'intéressait pas du tout à ce que je faisais en dehors du lycée, préférant aller droit au but en me rappelant à quel point il était important que je décroche un boulot compliqué qui me rapporte beaucoup d'argent.

Bon, il ne le disait évidemment pas de cette façon -ses expressions étaient parfois d'une telle formalité que j'en venais à me demander s'il me considérait plus comme sa fille ou comme sa collègue-, mais il laissait entendre que j'avais intérêt à bosser pour m'en sortir.

Heureusement pour moi, je ne l'avais jamais déçu. Qui sait ce dont il serait capable. Il m'inspirait un peu de crainte, je l'avoue. Mes notes à peine au-dessus de la moyenne en physique-chimie l'accablaient au plus haut point. Et je n'espérais pas obtenir une quelconque aide de sa part.

J'avais l'impression d'être une machine a réussite à ses yeux, et encore seulement lorsqu'il remarquait ma présence. Le reste du temps, il nous racontait pendant le dîner les opérations qu'il avait menées au bloc, manquant à chaque fois de me faire recracher ce que j'avais dans la bouche.

Un gros intestin disfonctionnel en accompagnement avec mes lasagnes ? Non merci.

Je quittai la table sans plus attendre, évitant ainsi de croiser mon père dans la cuisine. Je n'étais pas d'un naturel bavarde au réveil et sa tête de quinquagénaire rasé de près ne me revenait pas.

Non, décidément, je n'étais pas proche de lui.

Je remontai dans ma chambre après avoir débarrassé mon bol et vaquai à mes petites habitudes.

Je défis mon lit comme tous les matins puis attrapai mon téléphone laissé sur la table de nuit. Je cherchais quelques secondes une musique douce pour me préparer dans une ambiance détendue et optai finalement pour The News de Jack Johnson.

J'adorais cet artiste. Sa guitare me transportait dans un autre monde, et sa voix mélodieuse me relaxait instantanément.

Toujours en pyjama, je bus quelques gorgées de jus d'orange à la bouteille et remis celle-ci dans mon sac à dos qui croulait sous le poids des cahiers.
En entendant Flop s'agiter dans sa cage, je marchai en travers du matelas pour rejoindre la table sur laquelle était posée sa petite maison. Je lui remis un peu d'eau et de nourriture avant de le laisser gambader sur le sol, lui accordant son petit moment de liberté quotidien.

Je n'aimais pas voir les animaux derrière les barreaux, cela me rendait triste. Quand mes parents m'avaient offert une souris noire il y a deux ans, je m'étais sentie moins seule à la maison. Pour éviter qu'elle ne s'ennuie, je passais du temps avec elle. C'était un vrai bonheur pour moi de la voir se promener sur les immenses étagères qui entouraient ma tête de lit. Je l'avais baptisée Flop, et je le trouvais adorable, contrairement à mes couineuses de cousines qui s'affolaient en voyant le moindre rongeur derrière une vitre. Alors imaginez leur réaction lorsqu'elles avaient mis un pied dans ma chambre...

Flop était rapidement devenu mon compagnon, et je le laissais m'observer faire mes devoirs le soir en rentrant du lycée. Il pouvait passer d'un état complément euphorique à une soudaine envie de dormir. Il me regardait alors écrire des paragraphes entiers à la lumière de ma lampe de bureau, puis, une fois assoupi, je le rentrais dans son nid douillet.

Une fois mes occupations terminées, je pris finalement mon courage à deux mains et détaillai mon portrait dans la glace en face de moi.

J'étais peut-être un peu plus petite que les filles de mon âge, de quelques centimètres tout au plus. Mes cheveux bruns se teintaient de reflets roux au soleil (un aspect que j'assumais totalement) et descendaient environ jusqu'à mes omoplates.
Ils prenaient un malin plaisir à me faire hurler de douleur chaque matin lorsque je devais démêler les nœuds qui s'étaient formés durant la nuit.

Mon visage aux traits fins encadrait deux yeux noisettes que je trouvais ridiculement petits, et leur couleur ne sortait en aucun cas de l'ordinaire. Quelques tâches de rousseur parsemaient mes joues, me donnant l'air d'une gamine. Ma bouche, à mon plus grand soulagement, était relativement normale. Ni trop charnue, ni trop asymétrique, Julia me répétait souvent que c'était celle qu'elle aurait aimé avoir. C'était d'ailleurs la seule chose dont j'étais assez satisfaite.

J'avais la taille mince et les jambes fines, ce qui me valait parfois d'être comparée aux mannequins qui posaient dans les magazines de mode.

Oui, mais elles, elles ont Photoshop.

Et je n'avais aucune envie d'être mise en valeur grâce à mes supposés atouts physiques. À croire qu'elles n'avaient rien dans le crâne, ces pauvre filles. De plus, je ne me faisais aucun avis sur mes courbes. J'étais apparemment assez bien proportionnée, et c'était tout ce qui comptait.

J'enfilai un débardeur en dentelle blanc par-dessus un jean clair et attachai mes cheveux en une queue-de-cheval haute. J'ajoutai à ma tenue mon collier fétiche -un attrape-rêve en or dans lequel était incrustée une perle bleu nuit- et quelques bracelets à breloques autour de mon poignet avant de passer à l'étape du maquillage.

Même si je n'avais pas une peau parfaite, j'étais fière de ne pas faire partie de ces pots de peinture populaires qui se versaient chaque jour un demi-flacon de fond de teint sur le visage.

Évidemment, j'avais quelques imperfections à cause de cette puberté qu'il me tardait de terminer, mais un coup de pinceau suffisait à masquer la chose. J'appliquai une généreuse couche de mascara sur mes cils pour les rendre plus volumineux et observai avec appréhension le compte-rendu dans le miroir.

Bof.
Comme toujours.

Je balançai mon sac par-dessus mon épaule et attrapai mes écouteurs avant de descendre dans l'entrée.
Une fois mes tennis blanches chaussées et ma veste bien ajustée, je lançai un "Bonne journée !" dans toute la maison avant de refermer la porte derrière moi.

Que la fête commence.

Vie d'une Fille CompliquéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant