Le paradoxe de Jean Neige

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Gödel is coming.


Pour ceux qui regardent cette série télévisée dont le titre en français donnerait « jeu de trônes », l'un des personnages est réputé ne rien savoir (son nom est Jean Neige).

Personnage dont tout le monde a oublié le nom : Tu ne sais rien, Jean Neige.

Jean Neige : Meh. J'ai vraiment un nom pourri.

Par conséquent, il sait qu'il ne sait rien (puisqu'on lui a dit). Donc il ne sait pas rien. C'est un raisonnement valide, n'est-ce pas ?

Gudule : j'ai mal à la tête.

J'ai deux manières d'aborder ce paradoxe. La première nous emmènerait vers le théorème d'incomplétude de Gödel. La deuxième plutôt vers Russell. Je commence par Russell. L'idée, c'est que la définition de « l'ensemble des trucs que sait Jean Neige » est problématique. Normalement, les matheux aiment définir des ensembles de tout et n'importe quoi, en disant :

« je prends l'ensemble des objets qui vérifient une propriété P »

Gudule : je prends l'ensemble des yaourts contenant des fraises.

Un ensemble, vous le savez, c'est une boîte dans laquelle on met des objets. Si un objet est dans la boîte il appartient à l'ensemble, sinon il n'y appartient pas, et on ne peut bien sûr pas faire les deux en même temps (du balai, le chat ! nous sommes dans un monde non-quantique).

Avant le XIXe siècle, les gens ne se posaient pas trop la question de savoir ce qui était licite ou pas. Donc on pouvait considérer l'ensemble des Y vérifiant une propriété P, sans problème, sans vraie restriction sur Y ou P. Toutes ces choses étaient d'ailleurs implicites dans la tête des mathématiciens. J'ai bien le droit de parler de « l'ensemble des yaourts aux poires », que diable ! Mais avec la fin du XIXe siècle et le début du XXe, les gens ont commencé à se poser des questions. Bertrand Russell, donc, entre autres, arrive avec la chose horrible suivante :

Russell : L'ensemble des ensembles qui n'appartiennent pas à eux-mêmes appartient-il à lui-même ?

D'après Wikipédia, une formulation plus naturelle est :

Russell : Un barbier rase tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes, et seulement ceux-là. Si le barbier se rase lui-même, dans ce cas il ne doit pas se raser (par propriété du barbier). S'il ne se rase pas lui-même, dans ce cas il devrait se raser.

Gudule (mangeant un yaourt aux fraises) : j'ai très mal à la tête.

Le problème de Russell en version matheuse est le même. Si la réponse à la question est oui, alors non. Si non, alors oui.  C'est un paradoxe similaire au paradoxe du menteur : « la phrase que je suis en train de prononcer est fausse ». Si je dis vrai, alors je mens. Si je mens, alors je dis vrai. Saperlipopette.

D'ordinaire on utilise ce genre de paradoxe pour faire peur aux enfants. Gudule, sors de ce placard tout de suite. Mais on peut tirer sur la ficelle et arriver à deux conclusions :

formaliser les mathématiques, c'est compliqué : qu'est-ce qu'on a le droit de faire exactement ? Quel langage peut-on utiliser ? Est-ce qu'on ne se serait pas fait avoir par notre intuition ? Est-ce que les mots avec lesquels on faisait des maths jusqu'à présent ne seraient pas trop ambigus ?

– est-ce que toute proposition est soit vraie, soit fausse, comme tout le monde le pensait jusqu'à présent (disons, jusqu'au XIXe siècle) ? Qu'est-ce que ça veut dire, vrai et faux ? Est-ce qu'on n'aurait pas besoin de formaliser ça avec la notion de démonstration ? Et est-ce que...

– est-ce que toute proposition est soit vraie, soit fausse, comme tout le monde le pensait jusqu'à présent (disons, jusqu'au XIXe siècle) ? Qu'est-ce que ça veut dire, vrai et faux ? Est-ce qu'on n'aurait pas besoin de formaliser ça avec la notion...

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(C'était pour rester dans le même registre)


Terminons avec un aparté sur Russell, et un caméo de la théière.

Bertrand Russell (1872-1970) a été un grand contributeur des mathématiques, de l'épistémologie, de la logique et de la philosophie (rien que ça). En dehors du paradoxe précité, je retiens surtout que c'était un anti-religieux convaincu, athée ou au moins agnostique, à qui nous devons la fameuse théière.

Russell : vous me dites que Dieu existe et que c'est à moi de prouver son inexistence. Fort bien. Moi, j'affirme qu'une théière en porcelaine orbite en ce moment entre la Terre et Mars. Elle est indétectable avec nos télescopes. Mais elle existe ! Je vous enjoins à la vénérer.

C'est un argument contre l'idée d'imposer la foi religieuse. La société ayant un peu bougé depuis le XIXe siècle, je pense qu'il n'a pas l'ampleur que semblent vouloir lui donner ceux qui le reprennent aujourd'hui (Richard Dawkins et consorts). Le fait est que ça n'empêche pas les gens de croire ce qu'ils veulent (Russell considérait que la religion de manière générale était une chose mauvaise et un héritage d'obscurantisme). Et en bons pastafaristes, nous pensons Gudule et moi que la théière existe et a été placée là par le FTM lui-même. J'aime cette idée.

FTM : je confirme. La théière m'a échappé des pâtes alors que j'étais en train de construire la Terre. Râmen.

(À peu près la même image que celle d'Odeleongt sur Wiki commons)

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(À peu près la même image que celle d'Odeleongt sur Wiki commons)


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C'est tout sur le paradoxe de Jean Neige. La prochaine fois, je donne ma définition la plus subjective des maths. C'est trop court ? C'est trop long ? C'est incompréhensible ? C'est trop simple ? Je suis à votre écoute. Mais non, je rigole, je suis à l'écoute d'un monstre en pâtes qui vole. Tout va bien. Tout va très, très bien.

Pourquoi j'adore les mathsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant