C'est quoi les maths ?

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Je ne veux pas éluder cette question. Ce serait vous mentir, chers lecteurs, vous cacher la terrible vérité. Il est donc temps de parler de ce que j'entends exactement par « mathématiques » (bien sûr, c'est subjectif).

Gudule : superbe entrée en matière, maître.

Donc on va reprendre depuis le début. Et le début, c'est : de quoi parle-t-on exactement ? Qu'est-ce que j'entends par maths ? Eh bien je vais répondre à cette question. Cela vous choquera. Vous n'en dormirez plus. Vous en ferez des cauchemars dans lesquels apparaîtra le FTM.

FTM : vous êtes mes élus. Râmen.

Gudule, envoie la réponse.

Gudule : maître, vous êtes sûr que...

Envoie la réponse, larbin.

Projecteur, lumière.


Les mathématiques sont un langage formel.


C'était quoi, cette explosion ? Oh, non, j'ai cassé Gudule. Attendez que je ramasse les morceaux, je suis à vous. Comment ? Une explication ? Bon, allons-y en parlant du tout premier objet mathématique qu'on nous présente comme tel dans la jeunesse : les nombres.

FTM : c'est moi qui ai inventé les nombres. C'est bien utile. Mais quand j'étais en train de construire les tables de multiplication, j'ai glissé, et j'ai mélangé tous les chiffres. Du coup il faut tout apprendre par cœur et il n'y a pas de truc simple. Je me suis planté aussi avec l'hypothèse du continu, d'ailleurs. Râmen.

Je vais apporter une réponse stupide à une question stupide. Ou une réponse fabuleuse à une question fondamentale. Ou une réponse nébuleuse à une question pas claire. Je préfère la deuxième interprétation. Que sont les nombres qu'on rencontre dans la vie de tous les jours ? Pour moi, trois choses à la fois :

– un symbole (le mot « deux », le mot « trois »)

– une quantité (pourvue d'une unité, comprendre : « deux yaourts », « trois yaourts »)

– une abstraction (le concept de « deux »)

Le propre du « symbole » est qu'il est interchangeable. Si j'écrivais « yaourt » à la place de « 2 », j'écrirais les additions différemment : yaourt + yaourt = 4. Mais le sens resterait le même. On pourrait aussi parler en anglais : yoghurt + yoghurt = 4. Ce serait compliqué de parler de « deux yaourts » parce que ça surchargerait le mot « yaourt ». On appellerait donc un yaourt « yourt », parce que ça ressemble, et on dirait « yaourt yourt ». Et on deviendrait tous des Wookies. Si vous pensez que ça ne rime à rien, moi aussi.

Le propre de la « quantité » est que c'est la première chose que vous trouvez dans la nature. Vous ouvrez le frigo, vous ne tombez pas sur « deux », mais sur « deux yaourts ».

Gudule : En l'occurrence, ils s'achètent par paquet de quatre.

Et vous comptez les yaourts.

Gudule : j'ai l'impression que ma vie n'a pas de sens.

Le propre du « nombre » est qu'il s'agit d'une abstraction de la quantité. Pour votre cerveau, il est évident (on applaudit le cerveau) qu'un groupe de trois yaourts et de trois éléphants partagent une même caractéristique : cette quantité trois. À partir de là, il est naturel de donner un nom et une existence à cette caractéristique, c'est comme de dire de deux objets qu'ils ont la même couleur et de donner un nom à cette couleur. Nous avons tendance à raisonner comme ça, et c'est très bien : trouver des similitudes, faire des analogies, abstraire un concept.

Nous marchons donc dans trois domaines différents :

– les quantités, c'est le domaine de la physique (prendre des objets du monde réel et les analyser)

– les nombres, c'est le domaine des mathématiques (raisonner sur des concepts)

– les symboles, c'est le domaine du langage : partager les concepts à l'aide d'un langage commun.

Un langage, ce n'est rien de plus qu'une suite de symboles communément acceptés par un ensemble de cerveaux (je préfère référer au cerveau qu'à l'être humain, c'est plus pragmatique) comme relevant du même concept, même si le concept de « relever du même concept » n'est lui-même pas clair et que cela me fait mal rien que d'y penser. Un langage, ce sont des mots mis sur des illusions. Mais ce n'est pas grave. C'est très bien comme ça, le langage. Former des idées est une fin en soi. Les auteurs de fiction ne me contrediront pas.

Quant à nous, si nous oublions que les nombres renvoient à des quantités, bah... il reste quand même des nombres. Et c'est parti pour le zéro, les nombres négatifs, les irrationnels, les complexes, les quaternions, les matrices, les groupes finis, les espaces vectoriels et... tout le reste des maths.

Pragmatiquement dit, la quantité dix puissance 10 000 n'existe pas dans l'univers. Ça dépasse largement le nombre d'atomes que vous pouvez trouver (quand j'étais au collège, j'essayais de faire comprendre ça à une de mes camarades de classe mais elle ne m'a jamais cru. Alors vous pouvez essayer de compter les atomes dans l'univers et je vous garantis que vous n'arriverez pas à dix puissance 10 000). Mais dans le monde abstrait, elle existe, comme tous les autres nombres.

Si vous aimez des petites flèches, regardez ça :

Réalité → symbole → concept

Et maintenant :

symbole → concept

Là où c'est pratique, c'est que le cerveau peut très bien se débrouiller sans réalité. Il fait même ça redoutablement bien.

Gudule : le ciel est vert.

Le ciel est bleu, Gudule.

Gudule : la terre est ronde comme une orange bleue.

Mais quel poète.

Tout comme l' « orange bleue » de Gudule, dix puissance 10 000 n'existe que dans votre cerveau, calé dans les neurones, juste à côté du miracle de la conscience. Il est bien, il est au chaud, il ne bougera pas.

FTM : le miracle de la conscience, c'était vraiment une invention extraordinaire. Malheureusement je ne me souviens plus comment j'ai fait, je crois que j'étais bien imbibé. Râmen.


Il nous reste une très, très grande question. Le langage que j'emploie pour écrire (le français) obéit à des règles. Le langage des mathématiques obéit également à des règles. Quelles sont-elles ? Quelles doivent-elles être ? Des gens ont commencé à essayer de formaliser ça à la fin du XIXe siècle. Avec la question ultime :

Les mathématiques sont-elles cohérentes ?

Autrement dit, est-ce qu'on ne va pas finir par arriver à un os, un théorème qui serait à la fois vrai et faux, ou qui ne serait ni vrai, ni faux ? La réponse à cette question va venir. Nous avons déjà vu qu'il y avait un problème avec le paradoxe de Russell. Mais comme de très grands logiciens ont travaillé dessus il y a un siècle, rassurez-vous, ils vont nous sauver.

Pour l'heure, gardons à l'esprit que les maths sont un jeu sur les mots. Un monde abstrait naît progressivement dans le cerveau au fur et à mesure qu'il manipule ces objets et par habitude, leur accorde une forme d'existence. Dans l'esprit du matheux, les espaces vectoriels et autres graphes entrent par l'aire du langage et finissent par occuper une position équivalente à celle des yaourts, aussi corporelle qu'eux. Les maths ne sont que l'archétype d'un monde où les choses auxquelles vous pensez acquièrent une substance : le rêve d'un poète.


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C'est étrange ? C'est farfelu ? Ça fait peur ? Vous êtes d'accord ? Vous n'êtes pas d'accord ? Gudule se fera un plaisir de lire vos commentaires en utilisant mon compte et comme il sait écrire, il pourra même y répondre.

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Edit : j'ai supprimé mon allusion controversée au monde de la physique (dont quantique), qui apparaîtra de nouveau (un jour) dans le texte spirituel fondateur de la secte pastafariste que Gudule est en train de préparer.

Pourquoi j'adore les mathsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant