La suite de Conway

153 15 16
                                    



Ah, John Horton Conway, lui c'est un vrai matheux (encore vivant, d'ailleurs, donc encore actif, je suppose). [Note: Conway est mort du Covid en avril 2020.] Vous le connaissez indirectement si vous avez déjà entendu parler :

– de la classification des groupes simples finis, dont il a été un des instigateurs et principaux contributeurs ;

Gudule : si vous avez lu le segment correspondant dans PJAM, ça doit vous parler.

– du Jeu de la Vie.

Gudule : c'est l'histôaaaaare de la viiiieeeeeuh...


Vous avez un tableau de cases qui peuvent contenir des cellules. Vous partez d'une certaine configuration (comme vous voulez). À une étape donnée :

– si une case est entourée d'exactement trois cellules, une nouvelle cellule y apparaît.

– si une case est entourée d'exactement deux cellules, elle ne change pas.

– dans les cas qui restent, s'il y a une cellule sur cette case, elle meurt (soit par étouffement, soit par isolement, comme dans la vraie vie !).

Vous lancez le processus et vous regardez comment ça évolue. C'est un automate cellulaire aux comportements incroyablement complexes ; vous pouvez avoir des espèces de bestioles qui se déplacent toutes seules en crabe, etc.

Voici par exemple un puffeur (ce mot existe en français, sur Wikipédia en tout cas) un vaisseau spatial qui avance en laissant derrière lui des débris.

Voici par exemple un puffeur (ce mot existe en français, sur Wikipédia en tout cas) un vaisseau spatial qui avance en laissant derrière lui des débris

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Gudule : ce ne sont que des cases noires et blanches, mais c'est poétique.

Apparemment le jeu de la vie est Turing-complet, donc vous pouvez y encoder n'importe quelle forme de calcul (mais ça risque d'être difficile).


– de l'algorithme Doomsday.

FTM : c'est l'algorithme qui prédit le Jour du Jugement Dernier.

Euh, pas tout à fait. C'est un algo qu'il a inventé pour calculer le jour de la semaine à une date précise (mais vraiment quelconque), uniquement avec des manipulations simples, de sorte qu'il est capable de le faire de tête en moins de deux secondes. Pour s'améliorer, il a programmé son ordinateur pour lui poser ce genre de question à chaque fois qu'il l'allume (avec un temps limité, bien sûr).

Gudule : il y a encore des gens qui disent que CN est fou ? Vous en êtes vraiment sûrs ?


– et bien sûr, de la suite de Conway, ou « suite audioactive ».

Le principe de cette suite est enfantin. Vous partez de 1.

Gudule, qu'est-ce qu'on a ?

Gudule : on a « un 1 ». 11

Et maintenant ?

Gudule : « deux un ». 21

Et maintenant ?

Gudule : « un deux, un un ». 1211

Et maintenant ?

Gudule : on se fiche de moi.

111221

312211

13112221

etc.

Évidemment, on va beaucoup plus loin que les limitations auxquelles m'oblige ma flemme.


Cette suite a des propriétés à s'arracher les cheveux. Pour commencer, certains motifs (des sous-séquences) n'apparaissent pas. Déjà, aucun chiffre « 4 » ne peut voir le jour, donc on n'a que des 1, 2, 3.

Première remarque : la taille du nombre augmente à chaque étape. De combien en moyenne ? C'est calculé. En moyenne, le quotient d'un nombre de la suite de Conway par son prédécesseur tend vers un gars, environ 1, 303577269034, qui est la seule solution réelle et positive de l'équation :

 En moyenne, le quotient d'un nombre de la suite de Conway par son prédécesseur tend vers un gars, environ 1, 303577269034, qui est la seule solution réelle et positive de l'équation :

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

FTM : oui, on a compris, il y a des choses horribles en maths. Le Monstre, maintenant ce polynôme de degré 71... que voulez-vous, c'est la vie.


Et le résultat le plus cinglant n'est pas celui-ci, mais la décomposition des éléments de la suite en « atomes » fondamentaux. Et une sublime analogie avec la physique.

Dans la suite, il arrive que le nombre sur lequel vous êtes se « sépare » en deux parties qui ne vont plus interagir entre elles. Par exemple, 1113213211 c'est 11132 suivi de 13211, et dans toute l'évolution ultérieure, ces deux parties vont se comporter de manière indépendante (la partie « 11132 » va toujours évoluer en quelque chose qui se termine par 2 et l'autre en quelque chose qui ne commence pas par 2).

Conway a exactement caractérisé ces motifs « atomiques » en faisant une analogie avec la classification périodique des éléments :

– la suite représente un « univers » en expansion (à la vitesse qu'on vient de voir) ;

– à partir d'un moment, elle se décompose totalement en « atomes » ;

– l'évolution de l'univers est alors entièrement décrite par celle des « atomes », qui ne font en fait qu'évoluer et se décomposer en d'autres « atomes », à la manière de la désintégration radioactive ;

– la proportion des différents éléments dans l'univers tend vers des valeurs bien fixées.

Dans ce petit univers, il y a exactement 92 atomes. Mais si vous introduisez un chiffre autre que 1, 2 et 3, ça rajoute deux éléments nommés « transuraniens » qui contiennent ce chiffre.

Comme par hasard, il existe 94 éléments chimiques naturels. On a donc pu nommer tous ces « atomes » chiffrés avec ceux qu'on trouve dans la nature. La liste des transformations radioactives est faite dans l'article de Pour la Science dont j'ai mis le lien plus bas.

Je ne connaissais pas cette propriété de la suite de Conway, mais elle est un exemple parmi d'autres dans lequel on a vraiment envie de dessiner les contours d'un petit "univers" mathématique. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Comme les physiciens, les matheux découvrent et décrivent sans cesse les lois d'un univers - virtuel, certes, mais incroyablement complexe.


---------------------------

Si vous lisez l'anglais, vous trouverez votre bonheur sur l'article Wiki (le français est un peu faiblard).

http://www.lifl.fr/~jdelahay/pls/032.pdf  pour l'article de PLS (1996, la date à laquelle Conway a publié ses résultats sur le sujet)

Et aussi http://eljjdx.canalblog.com/archives/2015/06/29/32278826.html .

Merci :) !

Pourquoi j'adore les mathsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant