Un certain Motus

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Bonjour. Je m'appelle Sven Topak, je suis dirigeant d'une grande entreprise. Il se passe des choses pour le moins étranges dans la maison que j'ai achetée il y a un peu moins d'un an. Je ne crois en rien, je réfute tout ce qui est paranormal, esprits, entités démoniaques ou autre chose de pas réaliste. Nous sommes en 2016, pas au moyen-âge. Moi je n'ai rien vu, mais mes enfants, ma femme, ont aperçu au moins une fois une silhouette grande et mince se déplacer très vite dans le couloir donnant accès aux chambres. Avant de prendre une décision concernant notre avenir dans ce lieu, j'ai installé une caméra dans le couloir. Cette dernière n'a enregistré que le vol de mouches qui sortent de nulle part (j'ai une excellente femme de ménage qui me certifie vingt fois par jour que les chambres sont aérées portes fermées). Et puis il y a ces aiguilles rouges qui sont apparues dernièrement (ma femme de ménage n'est pas couturière).

Je ne sais pas si on cherche à me faire peur, si un homme que j'ai licencié veut se venger, je ne sais pas qui dépose ces aiguilles, je n'ai reçu aucune menace de mort, ni moi ni ma famille.

Je me suis quand même renseigné, mais je n'ai rien trouvé de connu pouvant relier une silhouette spectrale à de longues aiguilles rouges - dont je ne peux nier l'existence, puisqu'elles se trouvent sur mon bureau alors que j'écris ces lignes sur mon ordi. Toutefois, sur le site internet de la ville, je suis tombé sur le témoignage de l'ancienne propriétaire de ma maison. Personne ne lui a répondu. Je ne sais pas quel crédit lui accorder, mais certains faits se rapprochent étrangement de ce qui se passe ici. Si quelqu'un sur ce forum peut m'aiguiller (sans jeu de mots) je lui ferai l'honneur d'une compensation financière. Le voici :

Je poste ce témoignage pour savoir si quelqu'un a connu ce monsieur Motus, le premier propriétaire de ma maison (années 50). Mais peut-être suis-je la victime d'une vieille supercherie, un jeu macabre ? Dans quel but ferait-on ça ? Je parle des petits cartons retrouvés dans les toilettes. C'était horrible. Mon émotion l'emporte, je continue :

J'ai consulté les archives de la ville, mais je n'ai rien découvert d'autre que sa date de décès : 19 février 1966. Je me suis rendu au cimetière du village où ce monsieur Motus a été enterré : j'ai eu des frissons quand j'ai vu son nom gravé en rouge sur une croix métallique rouillée. Le vieux gardien, toujours en poste, m'a dit qu'il ne savait rien à son sujet. Personne n'est jamais venu lui rendre visite. Pourtant la concession était bel et bien payée sinon ses restes auraient été brûlés ou enterrés dans le carré des indigents (anciennement appelé fosse commune). Je lui ai aussi demandé l'origine de cette croix métallique dont les extrémités s'affinaient pour finir en aiguilles (j'ai des frissons rien que d'y repenser). Bien sûr il m'a répondu qu'il n'en savait fichtrement rien, mais qu'il y a une trentaine d'années de ça, un magasin de pompes funèbres vendait des articles « spéciaux » et que peut-être, quelqu'un l'avait achetée pour lui rendre un dernier hommage. Ma petite enquête s'est arrêtée là puisque ce magasin de pompes funèbres a été soufflé en 1969 par une explosion d'origine indéterminée.

Ça fait trois mois que j'ai acheté cette maison. A priori c'était une bonne affaire. La maison était vétuste, style ancien, charme suranné, tout ce qu'une décoratrice d'intérieur apprécie pour rajouter sa touche personnelle. De plus, la maison est très spacieuse : un vaste salon, une chambre pour chacun de mes trois enfants, une grande pour moi et mon mari, et six autres pour accueillir les amis et la famille, le tout dans une maison plain-pied. Il y a aussi une immense cave où nous avons entreposé notre bazar. La cave était vide, propre, récemment cimentée du sol au plafond. Au début, je n'ai pas vraiment fait attention à l'anneau en fer planté dans le mur du fond. J'ai même trouvé ça pratique pour attacher le chien ou un truc que les enfants pourraient être tentés de me prendre malgré mon interdiction, comme mon vélo par exemple. C'est seulement quand j'ai trouvé les bouts de carton dans les toilettes que j'ai commencé à comprendre son utilité et à mal dormir la nuit. Qu'y a-t-il alors derrière ces murs cimentés ? Pourquoi l'ancienne propriétaire, une vieille femme, a-t-elle fait ça ? Je n'ose l'imaginer...

Je suis une décoratrice d'intérieur, une amoureuse des choses naturelles, des vieux trucs d'origine, et je suis de surcroit très curieuse, car on découvre parfois des trésors cachés derrière des choses banales. Il y a quinze jours, alors que je décollais la énième couche de papier peint jaunâtre des WC (les précédents propriétaires n'avaient fait que rajouter une tapisserie sans retirer la précédente), j'ai découvert de splendides murs en briques rouges aux joints presque intacts. Ça donnait une atmosphère à la fois chaude et douce à ce lieu commun. Au moment d'achever mon travail, la décolleuse est tombée en panne. J'ai alors pris ma spatule et j'ai gratté la dernière zone entourant le coude à l'arrière du cabinet. J'ai dû forcer, car les couches semblaient plus épaisses à cet endroit.

Il ne me restait presque plus rien quand une demi-brique a bougé. J'ai voulu la remettre en place, mais quelque chose la bloquait derrière. Au début j'ai cru que c'était un joint brisé quand j'ai découvert l'origine du blocage : des petits cartons rectangulaires noués avec une longue touffe de cheveux noirs ! J'ai hurlé. Mon mari est arrivé et m'a aussitôt rassuré : des poils de chien ou des crins de chevaux, enfin une vieille supercherie pour faire peur aux enfants ou un truc dans ce genre-là, m'a-t-il dit. J'aurais aimé ça, un truc dans ce genre-là.

Mon mari est reparti bricoler, me laissant seule avec ma découverte dans les mains. J'ai mis des gants ménagers, je me suis assise à la table de la cuisine et j'ai délicatement retiré la touffe de poils ou de cheveux : AU SECOURS ! C'est qu'il y avait d'inscrit sur le premier carton. La couleur brune des lettres m'a tout de suite fait penser à du sang séché. Un jeu morbide oublié par des enfants, une sorte de chasse au trésor dégueulasse, j'ai encore pensé à ça jusqu'à ce que je parvienne à décoller d'autres cartons du paquet. Malheureusement, je n'ai pas pris assez de précautions et des bouts sont restés collés ensemble. Mais certains messages sont restés clairs, écrits au stylo. Ils sont si horribles que je ne peux concevoir que de telles choses se soient réellement produites. Voici certains des messages :

11 ans Viirginiie

IL revenir

Maigre / Très grand / Bouche cousu

Très grand

Attachée au cou

D'autre fille dans chambres.

Aiguille rouge

Hurlements.

Sex

Ongles arrachées.

Je encor écrire

Bouche cousu

Cousu

D'autres messages sont totalement incompréhensibles.

J'ai aussitôt donné ces cartons (il s'agissait de cartons rectangulaires que l'on insère à la fin du papier toilette) à la police. D'après l'analyse, il s'agit bien de sang humain, tout comme les cheveux. Seulement il n'y a pas eu de disparition de jeunes filles dans la région depuis au moins un siècle. Des analyses sont en cours pour un rapprochement ADN avec les familles de ce village. Peut-être y a-t-il eu des disparations non déclarées, des enfants sans aucune existence sociale et qui auraient passé leur vie séquestrés ? Bouche cousue... ce message m'a fait penser à l'expression « Motus et bouche cousue ». Est-on alors en présence d'une sorte d'omerta familiale ? Ce monsieur Motus, premier propriétaire de la maison, n'avait pourtant pas de famille. Mais est-ce vrai ? Avait-il oublié de déclarer la sienne ?
Voilà, c'est la fin de mon témoignage. Si quelqu'un dans ce village a eu connaissance d'un vieux jeu morbide, d'une chasse au trésor ignoble ou d'un quelconque rapport avec un certain Motus et des aiguilles rouges, qu'il me réponde sur ce forum ou à mon adresse mail.

Et je suis sûr qu'il y a quelqu'un au courant de cette histoire, car hier soir, j'ai retrouvé une aiguille rouge plantée dans le chausson de ma petite fille de quatre ans...

Cordialement.

Si j'avais eu sous les yeux ce témoignage avant d'acheter cette maison, je pense que j'y aurais réfléchi à deux fois avant d'en faire l'acquisition. Le dossier de cette affaire a été classé sans suite par la police, car les prélèvements d'ADN des cheveux et du sang n'ont révélé aucun lien génétique avec des filles disparues, les familles de ce village, ou les restes de ce monsieur Motus. Toutefois, les policiers de la brigade scientifique m'ont confirmé la taille anormale des os de cet individu, en particulier ses jambes, ses bras, ses mains, son visage. Des aiguilles rouges ont aussi été retrouvées dans son cercueil.

Je suis prêt à offrir un peu d'argent pour des renseignements sur cette horrible légende. Brisons le silence.

Don't Read at Night | Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant