Le Roi en Exil, tome 1 [TERMINÉ]

2.4 : départ vers le village/secret

Neve regarda le guerrier rajuster une fois de plus la lanière de cuir qui barrait sa poitrine.
Si d'ordinaire, un sabre à lame courte y était accroché, cette fois-ci, elle ne contenait que des dagues. Et Cavan se sentait complètement nu avec si peu d'armes. Mais il aurait été difficile de dissimuler une si grande lame sous un manteau.
La jeune femme patienta tranquillement, assise sur son cheval à poils longs, dont la belle robe aubère donnait un aspect doux et laiteux à l'animal. Ce dernier s'impatienta et renâcla.
Neve fit claquer sa langue pour le réconforter, et tapota son encolure. Elle jeta un coup d'œil sur Cavan, et constata qu'il la regardait avec cet air agacé habituel.
Ignorant son attitude, elle observa le beau hongre aussi sombre que ses tatouages, qu'il tenait par la bride. L'animal était magnifique, avec un poil luisant et un poitrail musclé. Une bête qui seyait tout à fait à son propriétaire tant ils se ressemblaient. Le guerrier grimpa sur son dos sans effort, et s'approcha de Neve, qui eut un mouvement de recul quand il se pencha vers elle.
Il se figea un instant, la fixa intensément, puis tira sur les pans de son capuchon pour bien recouvrir son visage. Le guerrier prit son temps pour ajuster le vêtement, comme s'il voulait faire durer ce moment plus que nécessaire.
Neve sentit la chaleur de son corps, et son souffle sur son visage. Le regard plongé dans ses yeux sombres, elle constata qu'ils n'étaient pas totalement noirs, mais striés d'un gris argenté qui miroitait comme la lune sur la surface d'un lac. Mais la jeune femme n'eut guère le temps de s'extasier plus longtemps.
— Restez bien couverte, l'exhorta-t-il. Ne vous éloignez pas de moi, n'adressez la parole à personne et...
— Il va m'être difficile d'acheter quoi que ce soit si je ne peux parler aux marchands, ironisa Neve.
Cavan soupira devant son trait d'humour qu'il n'appréciait pas.
— Vous m'avez très bien compris ! siffla-t-il, le regard noir.
Neve hocha la tête et abandonna l'affrontement.
Lorsque Magnus lui avait dit qu'elle irait au village, son cœur avait bondi de joie. Juste avant qu'il ne lui dise que ce ne serait pas avec lui. La déception avait dû se lire sur son visage, car il avait ri. Il lui avait expliqué qu'il ne pouvait se permettre de rencontrer des gens qui le connaissaient.
Sans vraiment en comprendre la raison, Neve l'avait suivi et il l'avait laissé seul, un instant, avec Brogan, le pirate qui impressionnait tant la jeune femme. Mal à l'aise, elle était restée silencieuse, ses mains triturant la couture de sa robe, comme une petite fille.
Brogan lui avait alors raconté une histoire qu'elle n'aurait jamais imaginé entendre de sa vie. La chute d'un roi, sa fuite. Leur fuite. Elle avait ainsi appris que Magnus faisait partie de la garde rapprochée de ce roi rejeté, depuis plusieurs années. Elle connaissait l'histoire de son pays, bien sûr, mais elle n'avait jamais vraiment fait attention aux intrigues politiques. Pour la simple et bonne raison que l'influence du roi n'arrivait pas toujours jusqu'à eux, ou alors qu'elle arrivait très tard. Elle n'avait jamais eu à souffrir de ses agissements. Elle n'y avait donc pas prêté beaucoup d'intérêt.
Elle n'avait posé aucune question. Elle sentait que Brogan lui en révélait le minimum et qu'il n'irait pas plus loin. À demi-mots, il lui avait bien fait comprendre que son silence était essentiel à leur survie à tous.
La jeune femme avait, bien sûr, tout à fait compris les enjeux d'un tel secret, et pour rien au monde elle n'aurait mis la vie de Magnus en danger. Et pour protéger Magnus, elle devait les protéger tous.
Elle ferait tout son possible pour ne pas les mettre en danger.
La jeune femme tira sur la bride des son cheval et suivit Cavan qui s'engageait sous le couvert des arbres.
— Est-ce que vous l'avez mise en garde ?
Brogan se tourna vers Niall, qui observait, lui aussi, le couple disparaître dans la forêt.
— Je lui ai dis ce qu'il fallait qu'elle sache.
— Est-ce que vous lui faites confiance ?
Brogan haussa les épaules.
— Je ne fais confiance à personne, Niall. C'est bien pour cela que nous sommes encore en vie.
Un sourire bon enfant éclaira le visage du roi. Il aimait bien ce petit rappel piquant qui lui signifiait que, sans lui, il serait déjà mort. Et c'était sans doute vrai, il devait le reconnaître.
À ce moment-là, Magnus passa dans leur champs de vision.
— Que savez-vous d'elle ? reprit-il plus sérieusement.
— Pas grand chose, admit Brogan à contrecœur. Elle a grandi avec Magnus et il assure qu'elle ne dira rien. Elle a l'air...
L'ancien marin prit une profonde inspiration.
— Honnête.
Niall haussa un sourcil moqueur.
— Vraiment ? s'étonna-t-il.
Brogan fit la moue. Lui aussi, cela l'étonnait, mais c'était vraiment ce qu'il ressentait à propos de la jeune femme. Ils avaient tellement été habitués à frayer avec des personnes sans scrupules, qu'ils en oubliaient parfois que certaines étaient intègres.
— Quoi qu'il arrive, Cavan est avec elle. Je lui ai demandé de la surveiller étroitement. Il ne la lâchera pas d'une semelle.
Niall croisa les bras sur sa poitrine.
— Cavan... hum... je ne sais pas si c'est une bonne idée de l'avoir envoyé, lui. Il est en transe dès qu'il la voit.
Brogan sourit.
— Justement, rétorqua-t-il.