Partie I - 7

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6 juin 1864

« - C'est Yamazaki. »

Cette fois, il n'attend pas de réponse et entre. Il porte dans ses mains une pile de couvertures blanches qu'il dépose au sol. Il transfère ensuite un second plateau repas dans la pièce, mon repas du soir, puis fait coulisser la porte derrière lui.

Il ne me regarde pas et s'affaire à déplier les couvertures au milieu de la pièce. Probablement mon lit pour la nuit. On dirait un gros duvet blanc. Il se tourne ensuite vers le plateau repas que j'ai laissé, empile les bols vides et pose le tout devant la porte. Il va vers le sceau d'eau, essore le chiffon que j'ai utilisé, le plie et le met à côté des couverts sales. Il jette ensuite un regard à la pile de vêtement qu'il avait apporté plus tôt et à laquelle je n'ai pas touché.

« - Tu ne t'es pas changée ? » Me demande-t-il.

« - ... Je suis bien dans mes vêtements pour le moment. »

Il ne répond rien, se saisit de mon plateau du midi et s'apprête à repartir.

« - Euh... » Tenté-je. « Tu crois que tu pourrais me rapporter de quoi m'occuper ici jusqu'à ce que Kondô ne prenne sa décision à mon sujet ? ... Je n'ai rien à faire, je frise la mort cérébrale. »

Yamazaki pose soudain la table au sol. La vaisselle sursaute sur le coup, et moi avec.

« - Tu crois que tout t'es dû ? » Me lance-t-il d'un ton froid. « Tu es en pays ennemi, dans une ville où tu n'as légalement pas le droit d'être, le tout sans être blessée, du moins pour l'instant, alors que le bon sens voudrait qu'Okita t'exécute sur le champ, tu es nourrie, logée, protégée par des samurais détestant les occidentaux et tu as le culot de demander de quoi t'occuper ? Tu ne crois pas que j'ai autre chose à faire que de préparer tes repas et veiller à ton petit bien être personnel ? » Il jette un coup d'œil sur la vaisselle sale du plateau. « Toi qui a tant de temps libre, ça ne t'est même pas venu à l'esprit de laver ta vaisselle ? Tu ne t'es pas dit que tu filerais un bien meilleur coton en évitant d'être un poids, en commençant par nettoyer les objets dont tu t'es servie pour consommer un repas que j'ai presque dû te prémâcher et que tu n'as même pas gagné ? »

Je me tais, les lèvres pincées. Yamazaki se lève, le plateau dans les mains et fait coulisser la porte avec son pied. Il me lance un dernier regard accusateur en me disant :

« - Ne croit pas que ton statut d'occidentale te donne le droit de piétiner le minimum d'hospitalité que Kondô souhaite t'accorder. Sache que si les hommes apprenaient ton existence, il ne faudrait pas longtemps pour que des sabres te transpercent de part en part. »

Il referme la porte. J'entends ses pas s'éloigner sur le parquet.

La tête baissée, les yeux fixés sur mes mains jointes, je me repasse en boucle le discours de Yamazaki. Je fais tout pour les ravaler, mais des larmes s'échappent de mes paupières et tombent sur mes doigts. Un profond sentiment de honte s'abat sur épaules. J'ai la nette sensation d'avoir pris une douche froide.

Je me sens tellement stupide. Dans un coin de mon cerveau, mon orgueil blessé gronde que Yamazaki ne s'est permit de me dire tout ça parce qu'il sait que personne n'est là pour me défendre. D'un autre côté, la voix de ma conscience ne me laisse aucun doute. Mes origines n'ont rien à voir là-dedans, c'est mon comportement qui a été jugé. Si je me sens aussi mal c'est parce que je sais qu'il avait raison. Je n'ai fait qu'agir comme une enfant gâtée.

... Je veux rentrer chez moi.

Open Sea of BlossomsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant