Partie I - 9

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7 juin 1864

Une mélodie familière me tire de mon sommeil. J'ouvre les yeux, me lève lentement et fixe la porte close face à moi. Elle coulisse soudain et s'ouvre sur un étrange feu de camp au milieu d'une forêt. Je ne me pose pas de question et mets le pied dehors.

Sur une souche d'arbre, quatre visages familiers m'attendent avec sévérité. Le feu brûlant devant eux enflamme leurs yeux bridés déjà plein de mépris.

« - Flora, vous avez été convoquée à ce conseil en cette soirée de 1864. »

Je sursaute et fais volte-face. Un homme en chemise me parle avec un air sérieux, les doigts croisés devant lui.

... Denis Brogniart ?!

« - Ces Messieurs ici présents, » Continue-t-il. « Hijikata-aux-sourcils-froncés, Saint Kondô, Okita le renard et Yamazaki... »

Pourquoi Yamazaki est le seul à ne pas avoir de surnom ?

« - ... Ont voté afin décider de votre sort. »

Le temps de jeter un œil aux hommes assis sur la souche, Denis Brogniart est soudain en possession d'une urne en bois de laquelle il pioche des bouts de papier qu'il déplie devant moi. La mort est écrit en grosses capitales noires sur la feuille.

Il est inscrit la même chose sur la seconde feuille. Puis sur la troisième. Et enfin sur la dernière. Mon cœur accélère alors qu'une torche crépite soudain dans ma main.

« - Flora... Prenez votre sac, allez récupérer votre flambeau et venez me rejoindre. » Me demande Denis Brogniart d'un air grave.

Une force invisible conduit mes pas devant le présentateur et son expression compatissante.

« - Flora, les samurais de la tribu jaune ont décidés de vous éliminer et leur sentence... Est irrévocable. »

Il éteint violemment ma torche et je suis plongée dans le noir.

Je me réveille en sursaut, nageant dans un kimono humide de sueur. Mes yeux papillonnent un moment autour de moi, le temps que mon cerveau fasse les connexions nécessaires pour que je me souvienne de l'endroit où je suis. Ou plutôt de l'endroit où je ne suis pas. A savoir chez moi. Hélas.

Je reprends mon souffle et me rallonge dans le lit.

... Le ministère de mes rêves associe donc ma situation à Koh-Lanta. Maintenant que j'y pense, l'analogie n'est pas si stupide. J'espère seulement que l'issue de tout ça ne sera pas celle de mon cauchemar.

Ayant retrouvé mon calme, je me remets à l'aise dans le lit, m'enveloppant dans la couverture malgré la chaleur. Cet étrange duvet blanc est quand même super confortable. Et moi qui pensait que le confort ne datait que de l'après-guerre, encore une idée préconçue qui vole en éclat.

La luminosité dans la pièce est douce, il n'y a aucun bruit aux alentours. Il doit être encore tôt.

... Devrais-je saisir cette occasion pour m'enfuir ? Mon cœur tressaute à cette idée. Après tout, rien ne m'assure que ma coopération me sauvera la vie.

Je me rassois pour mieux réfléchir et fixe la porte devant moi. Je sais qu'elle n'est pas fermée à clé. Je ne vois d'ailleurs pas comment ils pourraient verrouiller des portes coulissantes.

Ok Flora, du calme. Remet ton kimono en place, attache-toi les cheveux et dirige-toi à tâtons vers l'entrée de la pièce.

Le nez à quelques centimètres de la porte, je m'immobilise. Devrais-je ouvrir ? Que faire si je tombe sur un samurai autre que ceux au courant de ma présence ? Je créerais sûrement encore plus de problème à Kondô et Hijikata-aux-sourcils-froncés, et ils finiraient par vraiment vouloir me tuer ! ... Mais je ne peux pas rester et attendre ma sentence sans rien faire ! ... Ou peut-être pourrais-je trouver la chambre de Kondô et le supplier de m'épargner ? Quitte à jouer de mes atouts féminins ?

Je jette un coup d'œil dépité à mes atouts féminins en question.

... Ouais. Je ne sais pas quels sont les goûts des samurais en matière de femme, mais ça m'étonnerait qu'un bonnet B allume qui que ce soit. Surtout que Kondô a l'air du genre droit et honnête en toutes circonstances. Ca et aussi je ne suis pas ce type de fille. Un peu de dignité Flora !

... Aaah... Je suis vraiment dans une impasse. Tant pis, j'ai juste besoin de prendre un peu l'air !

Je glisse mes doigts dans la fente de la porte et fais doucement s'écarter les cloisons. A chaque petit crissement de bois, je me fige et tends l'oreille pour être sûre que personne ne vienne dans ma direction.

N'ayant pas le goût du risque, je n'ouvre les pans de la porte que sur une dizaine de centimètre, juste assez pour pouvoir sentir l'air matinal et jeter un œil à l'endroit où je me trouve.

Comme je l'avais deviné, un couloir en parquet passe devant la pièce et semble border une propriété de taille moyenne. Le couloir fait un S avec deux angles droits à ma droite, tandis qu'il continue loin à ma gauche. En face de moi s'ouvre une cours de terre et de graviers. Quelques pierres font le tour d'une petite marre et des arbres sont plantés ici et là. Comme le mur d'enceinte continue loin sur ma gauche, je devine que je suis effectivement gardée dans une aile plutôt isolée de la propriété.

Il s'agit ma foi d'un petit coin bien sympathique qu'il m'aurait plu de visiter en d'autres circonstances. Seulement, là, je n'ai pas franchement le temps d'admirer le paysage. C'est l'heure de prendre une décision. S'enfuir ou ne pas s'enfuir ?

... Roh, et puis zut.

Je referme la porte et m'affale la tête la première dans mes couvertures. Que je m'enfuie ou pas, je suis toujours coincée au XIXe siècle, où est-ce que je voudrais bien aller ?! Je ne sais même pas où se trouve la fameuse auberge Ikedaya dans laquelle je suis apparue ! Au moins, ici, je suis nourrie et logée, même si je suis cloitrée. D'ailleurs, si j'en crois Kondô, même si je m'échappais, je me ferais vite attraper par d'autres personnes à la conscience bien moins noble que la sienne. Peu importe ce que je fais, j'y passe potentiellement. Autant rester là où on me traitera le mieux.

Décision prise, je fais ma toilette dans la mesure du possible avec le chiffon flottant toujours dans le sceau. Aujourd'hui est un nouveau jour. Faisons de notre mieux pour nous adapter.

Open Sea of BlossomsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant