Open Sea of Blossoms

Partie I - 10

7 juin 1864

« - C'est Yamazaki. J'entre. »

Ce n'est que la troisième fois que cette scène se produit, mais j'ai déjà pris l'étrange habitude de m'asseoir au milieu de la pièce face à la porte quand il s'annonce. Sauf que cette fois, à mon appréhension habituelle s'est rajouté le malaise lié à la scène d'hier soir.

Ok Flora, patiente encore un peu. Voilà, il est entré dans la pièce avec le plateau repas. Ah, il a vu que j'ai nettoyé mes couverts d'hier. Bon... Aucune expression particulière ne point sur son visage. Il ne dit rien. Il jette un coup d'œil à la pile de vêtement dans le coin. Toujours rien. Argh, mais ne te jette pas tout de suite sur le pot de chambre ! As-tu idée à quel point ce genre de situation est gênante pour une dame ?! Eh ! Yamazaki Susumu, arrête de m'ignorer, je sais que tu me vois ! Ça me fait me sentir encore plus mal ! Je n'ai pas été cool, je sais, mais tu ne veux pas au moins regarder par ici ? Non ? Bon... Flora, il est temps. C'est le moment de faire ce que tu as répété toute la matinée.

Je rassemble les maigres souvenirs de traditions japonaises tirées des séries animées que mon frère aime tant. Embarrassée d'avance, je ramasse mes pieds sous mes fesses, serre les genoux et étale mon buste sur le sol dans une pathétique inclination.

« - Yamazaki ! » M'écrié-je le nez sur le tatami.

Je ne le vois pas mais je devine aux cliquetis de la vaisselle qu'il a sursauté.

« - J'ai vraiment beaucoup réfléchi, et je m'excuse pour mon comportement d'hier ! J'ai été ingrate du début à la fin et euh... J'aimerais bien faire des efforts pour être plus respectueuse ! L'ennui c'est que, euh, je ne connais vraiment rien à l'étiquette japonaise, rien de rien, alors si tu pouvais avoir la patience de me dire ce que je dois et ce que je ne dois pas faire, ça serait vraiment sympa ! Et puis, euh, je ne pense pas être supérieure parce que je suis occidentale, ça ne m'est même jamais venu à l'esprit. Le fait est que je ne sais même pas pourquoi les occidentaux sont si mal vus, alors si tu pouvais aussi éclairer ma lanterne à ce sujet, ça ne serait pas de refus ! ... Ah ! Et je suis prête à faire plein d'efforts pour apprendre à être polie de manière, disons, japonaise, mais là tout de suite je vendrais mon âme pour avoir quelque chose qui se rapproche d'une brosse à dent, tu crois que tu pourrais faire quelque chose où je dois me contenter du chiffon ? »

Un silence de mort ponctue ma tirade. Je n'ose pas lever la tête. J'ai les oreilles en feu et le cœur qui palpite. Je n'ai pas été aussi embarrassée depuis mon cafouillage lors d'un exposé en quatrième !

Un petit pouffement me fait revenir à la réalité.

Je décolle instantanément mon nez du sol et lève les yeux vers Yamazaki. Il dissimule son amusement en évitant mon regard et en cachant sa bouche avec son poing. Je hausse un sourcil. Ce n'était pas fait pour qu'il se moque, j'étais sincère moi !

Il reprend finalement son sérieux, se racle la gorge et se tourne vers moi.

« - Ne touche pas le sol avec ton buste, écarte un peu les coudes, pose tes mains au même niveau que ton front. »

J'exécute derechef les instructions du garçon pour une inclination en bonne et due forme. Je reste figée dans cette étrange position galipette jusqu'à ce qu'il parle à nouveau.

« - Hm... A moins que tu ne supplies pour ta vie ou que tu sois face à l'Empereur, tu n'es pas sensée rester prosternée aussi longtemps. »

... Je me relève mal à l'aise et fait mine de remettre mes cheveux en place pour me donner une contenance. Bizarrement, Yamazaki a l'air aussi gêné que moi.