Partie I - 11

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7 juin 1864

Il doit être dans les alentours de 19h. Je suis allongée telle la plus molle des larves sur mon lit, mes yeux morts fixés au plafond. Ça doit faire des heures que je suis dans cette position et que j'attends que quelque chose se passe. D'ailleurs, je suis sûre que si quelqu'un passait à côté de ma porte en ce moment, un grognement terrible lui ferait prendre ses jambes à son cou. Ce grognement, c'est celui de mon ventre. Apparemment j'ai un forfait « 2 repas par jour ». Sauf que quand le premier est servi tôt le matin et le second en soirée, il y a une perceuse qui se charge de réorganiser ton estomac dans la journée.

Aah... Je viens de me rendre compte que j'ai pensé « mon lit ». C'est mauvais signe ça. Ça veut dire que je commence à m'habituer à ma condition de captive. Combien de temps avant que cette pièce exiguë ne devienne « ma chambre » ?

Aah... Je vendrais mon frère pour une douche... Marin, Adrien, Julie... Vous me manquez atrocement.

Aah... A chaque seconde qui passe je me sens devenir plus informe. Je ne serais bientôt plus qu'un amas flasque si rien ne se passe dans les prochaines minutes...

« - C'est Yamazaki. J'entre. »

Je me relève d'un coup et jette un œil affolé à mon kimono. Je le remets en place avant que la porte ne s'ouvre. Il ne s'agirait pas qu'on me prenne pour la dépravée que je ne suis pas, d'autant plus que les japonais sont connus pour s'offusquer de la moindre épaule dénudée. Cachez-donc ce sein que je ne saurais voir !

Je ne prête pas attention à l'entrée de Yamazaki dans la pièce et m'affaire plutôt à replier mon lit dans un coin.

« - Passer sa journée au lit, il n'y a bien que les Altesses Royales pour se le permettre ! »

Je m'arrête dans mes gestes et affiche un air blasé avant même de me retourner. Cachez donc ce renard que je ne saurais entendre...

« - Elle s'est arrêtée de bouger. C'est vrai qu'elle a retenu ta voix. » Observe Yamazaki.

« - Je te l'avais dit. »

Je me tourne vers eux et fusille Okita du regard. Il suit son collègue et entre dans ma chambre sans se soucier de la politesse.

Ah. Ca y est.

C'est devenu « ma chambre ».

« - Comment ça se fait que tu ne l'as pas annoncé, lui ? » Demandé-je à Yamazaki.

- Je pensais qu'il le ferait. » Me répond-t-il.

« - Ma présence te pose un problème ? » Me sourit Okita.

Je fais la moue. C'est rien de le dire. Je n'en peux déjà plus de ses petits yeux malicieux. Il me toise un instant. Une expression moqueuse fond sur son visage.

Bon. Vas-y. Sors la ta vanne.

« - Y a pas à dire, les kimonos, ce n'est pas fait pour les blancs. »

Ca y est, il est content, il a fait son petit commentaire ?

« - Je t'ai ramené du sel. » M'informe Yamazaki en posant mon plateau du soir au sol.

« - Ahah, bien sûr, du sel... »

Mais pourquoi diable m'a-t-il ramené du sel ?! Je n'ose pas lui poser la question en présence de ce renard d'Okita ! Celui-ci a d'ailleurs l'air très amusé par la situation à en croire le demi-sourire flottant sur ses lèvres.

« - Yamazaki. Je crois qu'elle ne sait pas à quoi ça sert. »

Je rougis jusqu'à la pointe des cheveux. Et ça le fait rire ?!

Yamazaki, lui, conserve son éternel visage inexpressif.

« - Ben, tu as dit que tu voulais te laver les dents. »

... Oui, certes. Mais comment je suis sensée faire ça avec du sel ? Il veut que je m'arrache les gencives ? C'est une nouvelle sorte de torture ?

« - Son Altesse ne s'est-elle jamais lavé les dents à la manière du peuple ? »

Je lui lance un micro regard noir. Micro, parce que je ne suis pas suicidaire non plus. Deux sabres dangereusement aiguisés pendent à sa ceinture. La petite plaie que j'ai encore dans le cou me rappelle la situation dans laquelle je suis malgré les apparences.

« - Tu te frottes les dents avec le chiffon on mettant un peu de sel dessus. » Explique Yamazaki.

Ah. Tout simplement. Je ne sais pas pourquoi je m'attendais à une ancienne technique ancestrale...

« - Pas très fut-fut. » Commente Okita.

Je rougis encore plus.

« - Va mourir. » Marmonné-je en croisant les bras.

« - Ahah, de nous deux, je doute que je sois le premier à rendre l'âme ! »

Mon corps se tend imperceptiblement. L'humour noir c'est drôle que quand on n'est pas soi-même la blague. Là, j'ai plutôt envie de me rouler en position fœtale en ruminant sur mes chances de survie... Mais je ferais ça après m'être sustentée.

« - D'ailleurs, qui est la personne qui cuisine ? C'est toujours super bon. » M'enquis-je en m'asseyant devant mon plateau repas.

« - C'est moi et Madame Otsune, la femme de Kondô. » Répond Yamazaki.

« - Et bien... Mes compliments. » Dis-je avec un signe de tête.

Donc Saint Kondô est marié. Je me demande de quoi a l'air sa femme. Plutôt du genre pureté incarnée ou mégère aigrie ?

« - Je suis étonné. » Fais Okita. « Je ne pensais pas que Son Altesse de France pouvait apprécier les modestes mets de la plèbe. »

Bon, il a fini avec son complexe d'infériorité lui ? Pourquoi est-ce qu'il est si persuadé que je suis une gosse de riche ? Parce que je suis occidentale ? Je vois que les clichés ont la vie dure même au XIXe siècle.

« - Son Altesse de France aimerait déguster son repas tant attendu sans sentir l'aura fourbe d'un renard dans son dos. » Lancé-je.

« - Nous nous apprêtions à sortir de toute façon. » Sourit Okita en se dirigeant vers la porte avec Yamazaki. « Tout le monde n'a pas le luxe de paresser toute la journée. »

Je grimace. J'ai l'impression d'entendre ma mère. Pourquoi pas « de toute façon je fais tout toute seule dans cette maison » tant qu'on y est ? Je ne demande que ça, moi, de m'occuper !

Sur ces mots, les deux garçons sortent de ma chambre. Je vois l'ombre de Yamazaki se diriger vers la droite, alors que celle d'Okita semble prendre par la cours.

« - Okita, tu ne rentres pas te coucher ? » Demande Yamazaki, visiblement surpris de ne pas voir son collègue emprunter la même route que lui.

« - Non. » Répond l'autre. « Comme Heisuke est au repos, je prends le commandement de sa division pour les patrouilles.

- Mais tu as déjà patrouillé la nuit dernière, non ? Tu as dormis depuis ?

- Je vais très bien, ne t'en fais pas pour moi ! » Assure Okita en s'éloignant.

La bouche pleine, j'échappe un petit souffle blasé par le nez. Bah tiens, s'il s'entraine le jour et patrouille la nuit, faut pas s'étonner qu'il fasse des malaises en plein champ de bataille. La vie, ce n'est pas un manga. En t'acharnant sans relâche t'as plus de chance de finir avec une luxation du genou qu'avec le Gear Second.


Gear Second : référence au manga One Piece.

Open Sea of BlossomsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant