7.

195 30 1
                                    

"Ils ne comprendront pas jusqu'à votre départ. A la minute où vous vous éloignez, vous deviendrez "la meilleure personne qu'ils aient jamais eu". C'est fou de voir à quel point la perte déclenche l'amour."

Alex Elle


Assise à la table de la cuisine scintillante de propreté, elle fixait le mur immaculé devant elle.

Ses traits étaient sévères, durcis, respirant le vécu, respirant les traits de quelqu'un qui est dépassé par tout, qui n'a même plus envie de faire d'efforts.

Son regard absent était indéchiffrable. Peut-être pensait-elle à sa fille criminelle et disparue? Peut-être pensait-elle à son fils qui enchaînait connerie après connerie, ne respectant même plus ses propres parents? Peut-être pensait-elle à son mari indulgent, égoïste, qui ne voyait en elle qu'une vieille femme aigrie par le temps, dont les disputes lui ont lacéré le cœur?
Peut-être ne pensait-elle à rien tout simplement.

Peut-être flottait-elle dans cet espace-temps indéfini où l'on s'aventure quand la vie nous paraît bien trop terne.

Un claquement de porte la ramena ici, dans cette maison qu'elle avait toujours trouvé bien trop grande pour elle. Des pas résonnèrent jusque arriver derrière elle.
Des bras l'enlacèrent par derrière, une voix suave lui murmura un 'bonsoir', et des lèvres vinrent embrasser sa joue. Et elle, elle resta là, inactive comme toujours, le laissant la prendre dans ses bras, sans même osciller. 

Elle se demanda alors quelle odeur il portait aujourd'hui.

L'odeur sucrée et vanillée de sa stagiaire encore toute jeune et belle? Ou l'odeur forte et séduisante de sa secrétaire qui avait au moins la soixantaine?

Ou alors viendrait-il avec une nouvelle odeur, une qu'elle ne connaissait pas encore mais qu'elle ne tarderait pas à connaître.

Ce n'était pas l'âge qui posait problème à son mari. Ça ne l'a jamais été.

Le problème, ça a toujours été, et sera toujours, elle.

Il retira son manteau, la posant par dessus une chaise.

Vanillée. C'était ça qu'elle sentait. Elle ne réagit même plus, étant habituée. Cela ne servirait à rien de toute façon. Elle avait passé la période de fureur extrême, d'éclatement de tasses de thé, et d'hurlements sans relâche.

Elle l'entendit soupirer, tirer la chaise et s'asseoir dessus. 

-Tu as des nouvelles? lui demanda-t-il. 

C'est qu'à ce moment qu'elle daignait poser son regard sur son mari. Elle ne réussit pas longtemps à fixer cette bouille d'ange aux cheveux bruns et court, aux petits yeux verts attendrissants, à sa barbe mal rasée de quand il est sur les nerfs. Elle détourna le regard vers le mur et secoua la tête. A nouveau un soupir. 

Elle l'entendit se lever, emportant avec lui son odeur vanillée qui lui donnait des haut-le-cœur, rien qu'en y pensant. 

Il ouvrit le frigo et en sortit une bouteille de vin blanc. Il remplit deux verres de vin et en posa une devant sa femme. Elle regarda le liquide jaunâtre briller devant elle. Puis elle se dit qu'elle en avait bien besoin. Depuis les derniers événements, elle n'avait pas avalé une seule goutte d'alcool, trop occupée à pleurer toutes les larmes de son corps. Elle n'était même pas encore sortit de chez elle. Les gens la dévisageraient, la plaindrait, et elle n'était vraiment pas prête pour ça. 

Son mari s'assit en face d'elle et bu une grande gorgée de vin, et elle en fit de même. Le liquide traversant sa gorge lui fit du bien. 

-Tu penses qu'elle est où là? lui demanda-t-il.

Elle secoua la tête en même temps d'hausser les épaules. 

-Je ne sais pas, dit-elle d'une voix rauque et brisée qui l'étonna elle même.

Elle avait passé ses après-midis à hurler, pleurer, tout casser pour tout remettre en ordre après. Lana était son palier. Elle se reposait sur elle et seulement elle. Elle lui permettait de rester debout. Elle lui voyait un beau avenir, un métier bien payé et prestigieux, un mari honnête, l'aimant à la folie et fidèle, et des enfants adorables. Elle voyait en elle tout ce qu'elle aurait pu être. Elle, elle était là, comme le cliché de la femme au foyer de l'homme fortuné. Elle passait sa journée à nettoyer, faire les courses, du shopping, chercher les enfants, cuisiner. C'était un cliché ridicule et elle haïssait ça. Elle était promis à un bel avenir elle aussi. Et tout comme Lana, elle a tout gâché. Pas de la même façon que sa fille bien sûr. Lana finirait sans doute en prison, ou morte si elle osait s'imaginer le pire des cas. 

Elle avait fait de longues études pour devenir médecin, elle avait tout en elle pour. Puis elle l'a rencontré. Cette ordure assis en face d'elle. Avec son petit sourire séducteur et ses petits airs de gosse de riche, elle était immédiatement séduite. Ce qu'ils avaient au début était réel. Il lui promettait des voyages, du bonheur, de l'amour. Elle a fini par abandonner sa carrière pour lui, pour rester à la maison. Jamais ils n'ont fait ces voyages, par manque de temps. Ils ont juste déménagé en France car c'était leur rêve. Vivre dans le pays des amoureux, le romantisme incarné. Elle adorait, et adore toujours ce pays. Mais peu importe où ils vont, elle serait toujours malheureuse à ses côtés. Jamais il n'y a eu ce bonheur tant voulu, jamais l'amour n'a réussi à persévérer. Mais la voilà, toujours à ses côtés. Ils savaient tous les deux qu'elle ne pouvait pas partir, que ce soit pour les enfants, l'argent, ou sa carrière volée. Il avait gâché sa vie et elle ne pouvait plus rien y faire. Elle espérait quelque chose de mieux, de plus beau pour sa fille. Celle-ci est devenue complètement folle et personne ne l'a vu venir. Tout le monde disait qu'elle a été entraîné par ce garçon, Alyx. Étrangement, elle n'y croyait pas. Elle voudrait pourtant. Elle voudrait croire que sa fille était comme elle, qu'elle s'est laissée entraîner par un garçon. Sauf que ça lui paraissait impossible. Lana n'était pas comme elle. Elle était plus forte, elle avait plus de volonté. Elle ne s'est pas laissée entraîner. C'est elle qui l'a entraîné. C'était sûr. Elle ne saurait dire pourquoi elle a fait ça, mais c'était pourtant bien ça. 

-Molly?

Elle leva la tête, attendant la suite. 

-Tu sais ce qu'ils disent de nous?

-Je ne veux pas savoir. 

-Qu'on est une famille de tarés. Qu'ils croyaient que c'était Tom qui allait péter un câble en premier mais non, c'est l'autre. Qu'on se cache derrière notre fortune mais qu'en vrai on a tous des problèmes. Tu sais quoi aussi? Ils n'arrivent pas à croire que Lana l'a vraiment fait. Elle semblait être un fille tellement modèle et parfaite. HA! S'ils savaient ces imbéciles. On a autant de mal avec cette gosse complètement dérangée qu'avec son frère. J'ai aussi entendu des gens nous blâmer nous. Nous! Tu te rends compte? Que soi-disant parce que je travaille beaucoup, il leur manque une présence paternelle. Que je m'en fiche de mes enfants. Et de toi, ce qu'ils disent. C'est à rendre fou aussi. Que la mère, constamment à la maison, déprimée et folle, les influence dans leurs délires, les pousse à bout. J'en peux plus Molly, ils me rendent fou. Que ce soit les enfants ou les gens de cette ville. 

Elle ne réagit pas à son discours, n'écoutant qu'à moitié. Elle le savait tout ça. Ou du moins, s'en doutait. Elle pouvait très bien s'imaginer ce que les autres disaient d'elle. 

-L'Angleterre me manque, Molly. Je veux dire avant qu'on ait les enfants. Tout était bien à cette époque là. On avait pas a gérer ces conneries. 

Molly le regarda avec une colère qu'elle se força a enfouir au fond d'elle. Elle prit son verre de vin et se leva pour quitter la cuisine, lui disant au passage: 

-Ça n'a jamais été bien Michael, et ça ne le serait sans doute jamais. 

Et puis on tire sa révérenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant