@Enfant-minuit

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Cadeau fait par ➵ ColdMind
Cadeau fait pour ➵ enfant-minuit
Thème imposé ➵ La rencontre

Les ailes d'un papillon de nuit


Il y a des nuits plus agitées que les ailes d'un papillon piégé dans une toile d'araignée, et j'ai... j'ai toujours eu peur de ces nuits-là. Les insectes meurent, grillés par les néons crasseux, et les hommes meurent aussi, tués par d'autres hommes aux mains sales. Ensanglantées. Des ténèbres à mon quartier, il n'y a qu'un pas. C'est pour ça que je suis parti. Ma mère dit que j'ai fui... peut-être. Peut-être que j'ai abandonné ma famille pour me mettre à l'abri, au moment même où les nuits et les lames devenaient rouges. Peut-être que je les ai abandonnés à leur sort, exactement comme les policiers qui détournent le regard lorsqu'un homme en frappe un autre. Ici, c'est la jungle, c'est l'enfer. Laissés seuls, piégés entre des immeubles en béton aux cœurs insensibles, piégés entre des murs toujours plus étroits et des fins de mois qui n'arrivent jamais. J'ai disparu, comme nos pères, et comme l'espoir, je crois, de pourquoi un jour s'échapper, l'espoir de devenir quelqu'un autre qu'un enfant de cité.


Je suis parti, un jour une chance s'est présentée à moi et je suis parti. Sans un mot, sans amour. Je les ai laissés dans leur merde, sans me retourner. Parce que je savais que si je ne le faisais pas, mon unique chance de devenir quelqu'un d'autre me passerait sous le nez. Alors, je suis parti. Et j'ai vu d'autres choses, d'autres visages, mais je ne suis pas parvenu à devenir quelqu'un autre. Partout où j'allais, je me sentais toujours... toujours moi. Enchaîné à mon passé, comme un papillon piégé dans une toile d'araignée.


Mes rêves, mes espoirs, tout ce qui me faisait voler autrefois, tout a été brûlé, arraché.


Car ces gens-là ne sont pas plus doux, ne sont pas plus gentils ou attentionnés. Chez eux, c'est peut-être plus beau, moins crasseux, mais c'est la même merde. Elle est juste... mieux cachée. Leurs sourires étaient encore plus tranchants que nos lames. Et les nuits, plongées dans un silence mesquin, tuaient tout autant. Mais sans un bruit, sans un mot, sans amour. Ce n'était pas ça que j'imaginais, ce n'était pas ça que je voulais.


J'ai vite compris que ce n'était pas mon monde. Mais comme toujours, j'étais bloqué. Ni d'ici ni de là, je ne savais plus où aller. Mes rêves de paix étaient-ils trop naïfs ? Je n'avais jamais eu aussi peur de la nuit.



*


Il n'y a toujours qu'un endroit, un endroit où je me sentais en sécurité. Loin des coups de poing et des coups de feu, loin des cris, des larmes de douleur, plus près des émotions, plus près du cœur. Plus près des mots. La bibliothèque oui, m'avait toujours semblé être un havre de paix au milieu de l'enfer sur Terre. Les livres étaient les seuls qui n'avaient pas bougé. Avant que je sois parti, et après. Ils étaient restés à leur place, à la fois silencieux et bavards comme nuls autres. Ils étaient ont restés mes amis, les seuls auxquels je n'avais pas eu de compte à rendre ou de justification à donner.


Avant de quitter ma cité, je venais rêver d'évasion et d'aventures entre les lignes de grands romans. À travers les yeux de grands personnages. Après, quand je me suis senti perdu, coincé entre les griffes d'un monstre inconnu, j'ai continué de rêver à la bibliothèque. Cette fois, j'aspirais à retrouver la part de moi qui, déchirée par les doutes et les déceptions d'un monde cruel, avait fait taire ses émotions. Je voulais retrouver la joie, l'excitation, je voulais que mon cœur recommence à battre plus fort, à s'emballer. Je voulais me sentir vivant.


Il n'a pas fallu grand-chose pour que tous les souhaits soient exaucés. En réalité, il a suffi d'un livre. Et ce fut la plus grande rencontre de la vie.


Ce jour-là, je déambulais entre les allées, entre les étagères recouvertes de livres. Je ne sais plus ce qui a attiré mon attention. Était-ce la couverture ou le titre ? « Le souffle d'argent »... Ça sonnait un brin mélodramatique, un brin mystérieux, je n'attendis pas longtemps avant de l'ouvrir. J'entrais alors dans un monde brumeux, un peu comme le mien, décris avec une précision qui me perça le cœur. Les visages semblaient aussi réels que ceux que j'apercevais tous les jours, pleins d'émotions et d'angoisses. Les regards, les actes, tout était teinté d'un réalisme glaçant. La ville se découvrait devant mes yeux de lecteur avide et d'homme désemparé, j'y reconnus toutes celles par lesquelles j'étais passé. Quant aux hommes que j'y rencontrais, ils me parurent tous plus piégés que jamais. Emmêlés dans leur fatalité viscérale.


Et puis il arriva. Simplement avec quelques phrases audacieuses, il entra dans l'histoire. Dans son histoire. Dans la mienne aussi. Fringant, optimiste, il venait découvrir le monde les poches vides, mais les yeux remplis d'étincelles. Dans la nuit, il marchait en sautillant et face aux visages déformés par la cruauté, il crânait. Ricanait. Un inconnu de plus dans une ville indifférente, mais un inconnu qui m'apparut comme une présence familière, un visage éclairé, rassurant. Un ami que je découvrais au fil des pages et que j'apprenais à aimer, à détester, à jalouser. Un personnage qui me fascinait.


Âme torturée, torturante peut-être, grand amoureux et poète, ce type se présentait à moi comme une image insaisissable, hors du temps, hors de tout monde, le sien et le mien. Je savais que je ne sortirais pas indemne de ma rencontre avec celui qui portait l'exotique nom d'Izan. C'était risible, au fond, il n'était qu'un personnage d'encre et de papier, un pantin irréel, une marionnette dont le destin était écrit noir sur blanc. Un destin que je pouvais consulter en tournant quelques pages, mais que lui comme moi, nous ne pouvions modifier. Toutes ses actions étaient prédéterminées, vouées à faire avancer l'histoire, à précipiter les évènements qui le mèneraient à sa perte ou au bonheur qu'il cherchait tant. Je tremblais en pensant à son sort, au mien aussi, à cette fatalité que nous nous acharnions à combattre tous les deux. Izan me ressemblait jusque dans ses différences. Nous étions coincés dans un monde trop étranger, trop funeste pour que nous puissions le comprendre. Lui s'y heurtait, encore et encore, dans l'espoir d'une réponse, d'une réponse qui saurait soulager ses blessures. Moi, je me contentais de le subir, mon monde, ma tragédie, j'attendais qu'elle me tombe dessus.


Et, toujours aussi impuissant, je regardais mon alter ego se cogner contre les limites d'un monde méchant, d'un monde glaçant. Je lisais ses mots, son cœur et j'en frémissais de terreur. Le grand bonhomme aux rêves étoilés se fracassait sur sa réalité comme des vagues sur les falaises. Ses mains, abîmées, son cœur aussi, comment étions-nous arrivés là ? Son optimisme avait disparu, englouti, et désormais son rire avait un goût amer. La fin, que nous redoutions tous les deux, était proche. Et lorsqu'elle arriva, j'eus un mal terrible à dire au revoir à mon ami. Je refermais le livre, les bras et les yeux tremblants. Des émotions intenses et puissantes papillonnaient dans mon cœur, dans mon corps, le souvenir encore frais des paroles d'Izan résonnait dans tout mon esprit. Le trou que le personnage avait laissé dans ma poitrine était béant. Je reposais « Le souffle d'argent » avec difficulté, sachant tout de même que je reviendrais pour lui dès le lendemain.



Ce jour-là, en sortant de la bibliothèque, j'avais le cerveau rempli de feux d'artifice et d'idées sur mon futur. Le cœur gonflé grâce aux rêves inachevés laissés par Izan, je voulais m'essayer à la confrontation avec mon monde, ma réalité. Je voulais partir à l'aventure, la seule l'unique, celle qui avait du sens, celle que j'avais abandonnée quelques mois plus tôt en arrivant ici. J'avais décidé que j'en avais assez d'attendre, de rêver du bonheur ; j'allais dorénavant me heurter à tout ce qui me faisait peur et me battre pour reprendre le contrôle de mon destin. Parce qu'après tout, le mien n'était pas marqué sur du papier : il était encore temps pour que je le réécrive.


Graine de Wattpadien ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant