Cadeau fait par ➵ Mouitz
Cadeau fait pour ➵ RichKidofFrance
Thème imposé ➵ VengeanceLes tranches de mie sautèrent du grille-pain, noires et fumantes. Le bruit du ressort laissa derrière lui un silence curieux, comme une question dont la fin n'existait plus. La dame assise, les bras échoués sur la table, frissonna : oui, quelque chose lui manquait.
Elle s'était levée très tard ce jour-là, car elle aurait préféré ne jamais se réveiller. Mais en réalité, elle n'avait pas dormi de la nuit ; elle en avait été incapable, malgré la chaleur tristement réconfortante que les larmes avaient laissée sur leur passage. Dans le néant que lui avait offert la couverture, les heures, les minutes et les secondes semblaient s'être arrêtées en faveur du chagrin qui l'imprégnait, sans qu'elle ne puisse s'en protéger. Au contraire, elle s'abandonnait à son mal, elle se forçait à pleurer et mimait les sanglots ; dans un espoir vain de tarir son puits de douleur.
Le portait reflété sur la glace lui fut difficile, parce que son visage cerné lui donnait l'impression d'être vide de l'intérieur, et que son corps n'était plus qu'un emballage où on aurait oublié d'insérer un quelconque cadeau. Parce que ses yeux gonflés l'empêchèrent presque de se voir. Elle refit sa queue de cheval et trempa son visage d'eau gelée, en appuyant sur ses paupières : elle préférait ne pas imaginer la réaction de son mari, s'il la voyait ainsi. Une boule lui prit à la gorge en imaginant la scène. Heureusement, il dormait encore à poing fermé ; elle aurait dû avoir le temps de retrouver une expression neutre, un visage normal.
D'un geste hâtif, presque méprisé, elle attrapa ses tranches de pain qui avaient attendu maintenant trop longtemps, et étaient devenues raides et rigides. Elle y planta ses dents nonchalantes avant d'avaler la mixture avec un dégoût exagéré. Le mouvement répété de sa mâchoire força ses pensées, déjà trop libres pour être contrôlées, à l'amener à nouveau à sa vie devenue misérable. Elle se mit à se détester pour tout les choix qu'elle avait fait, en particulier le dernier où elle avait donné son consentement à l'homme qui avait causé sa perte aujourd'hui. Elle souhaita ne jamais avoir existé, au lieu de vivre l'horreur qu'elle subissait depuis.
Un chiffre changea sur l'écran de son téléphone, pour afficher l'heure : treize heures cinquante-cinq. Un soupir tremblant s'échappa de ses lèvres sèches ; la journée allait s'éterniser. Elle se leva et rampa jusqu'au placard, où elle ramassa un balai-brosse, un sceau et une serpillère effilée. Elle savait bien qu'elle avait des choses à faire, qu'elle soit heureuse ou non ; et que si la maison n'était pas propre, ç'aurait été une autre opportunité à son mari de faire ce qu'elle redoutait. Alors elle emplit le sceau d'eau et commença son ménage.
Elle aurait aimé que chaque coup de serpillère qu'elle passait ait nettoyé le sol de ses poussières, mais aussi de tous les moments qu'elle avait vécu sur celui-ci. Ce fut tout le contraire : l'eau faisait résonner en elle une multitude de cris et de pleurs trop bien connus pour être ignorés. Elle s'entendait demander d'arrêter une salve de poings, mais ses hurlements montraient affreusement bien son manque de conviction lors de ses suppliques ; elle savait qu'il n'aurait arrêté qu'une fois pleinement satisfait. Le cycle de sa nuit recommença : les larmes tombèrent de ses joues pour atterrir sur le parquet. C'est à ce moment précis que son mari sortit de la chambre.
Peut-être fut-ce à cause de la panique qui l'engloutit à une vitesse fulgurante, mais presqu'à l'instant, la femme eut l'impression que tout devenait affreusement minuscule. Les murs du couloir semblaient se resserrer pour diminuer l'espace entre elle et l'homme. Et tout devenait sombre. Le monde fut obscur, invisible. Elle-même se sentit se recroqueviller jusqu'à ce que ses côtes s'entrechoquent, se grattent, s'effritent.
Or, rien n'avait changé.
- Ça va ?
Ce n'était pas une réelle question, le ton fut indifférent, à la manière d'un « salut ». Cependant, quand la voix masculine parvint aux oreilles de la dame, un éclair lui traversa l'échine : elle devait répondre, ou il se douterait de quelque chose.
- Oui, et toi ?
Sa voix trembla. Il ne répondit pas, et se dirigea machinalement dans la salle de bain. Elle se rendit compte qu'elle avait arrêté de nettoyer, alors elle s'y remit avec une nouvelle tension. Des gestes robotiques, répétés. Comme des gifles.
L'éclair lui prit à la gorge. Non, il ne fallait pas pleurer ; pas tout de suite. Il était là, s'il la voyait, ce serait fini. Il exploserait. Elle ne s'en remettrait pas. Alors, ne pleure pas maintenant. Surtout pas maintenant.
Mais elle ne put s'en empêcher.
Quand il sortit de la salle de bain, l'air terne, mort, et qu'elle fut vite enveloppée des bras de son époux, ce fut comme un appel aux larmes. Ces dernières répondirent et coulèrent à flot, brûlantes comme du feu. Bien vite secouée de spasmes incontrôlables, et entoura à son tour celui qu'elle aimait de ses bras fins.
Et ce qu'elle redoutait tant arriva. Il explosa en sanglots.
Le balai tomba et émit un bruit fin, aigu. Le couple était immobile, pleurant en silences. De leurs yeux tombaient ce qu'on appelait des perles salées ; pourtant, celles qui parvenait aux lèvres n'avait aucun goût, aucune particularité, aucune valeur.
Leur fils avait été tout le contraire : il avait été la chose la plus importante au monde.
Malgré la douleur qui l'écrasait, l'homme se dit que bien des différences éloignaient ses larmes, et la personne dont il avait été le père. Elles n'avaient demandé à personne pour sortir de leurs pupilles, tandis qu'il n'avait attendu que l'autorisation de ses parents pour se promener avec ses amis. Il n'avait attendu que le consentement de sa mère pour aller s'amuser.
Enfin, ils avaient bien une chose en commun : ils étaient méprisés pour une chose qu'ils n'étaient pas.
Il allait avoir vingt-deux ans, et parce qu'il portait une barbe, on eut dit de lui qu'il était terroriste. On eut dit de lui qu'il aimait la mort, alors on la lui donna sans réfléchir. On lui offrit des coups, des gifles, des insultes et du sang, juste en bas de chez ses parents. On lui offrit la voix étranglée de sa mère, ses cris, ses larmes et ses suppliques. On lui offrit une vengeance qu'il n'avait pas méritée.
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