La raison du plus fort

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Hier dans la soirée, il a pleuré...
Comme il ne l'avait encore jamais fait...
Comme il avait appris à ne plus jamais le faire.

Il s'en voulait encore de l'avoir fait, sa femme l'avait vu et il s'était détourné, tout simplement.

Rien que d'avoir pensé à toutes les choses qui lui faisaient autant souffrir, il avait eu l'envie de tout casser. Il avait voulu que quelqu'un d'autre partage sa douleur... Il avait voulu se venger...

Mais se venger contre qui?
En y réfléchissant bien, il avait fini par comprendre.
Il avait eu tort.
On ne lui avait rien fait.
Ce n'était que la vie qui s'acharnait à le maltraiter.
Qui lui faisait mal au point qu'il ait envie de laisser couler les larmes.
Et il en avait honte.

Il avait neuf ans, la première fois qu'on le lui a dit:

"Un homme, un vrai, ça ne pleure pas."

Il se devait d'être un homme. Il ne pouvait donc pas se payer le luxe de pleurer ou de se plaindre.

À douze ans pourtant, il a eu mal et il avait fondu en larmes devant ses camarades de classe. Ceux-ci s'étaient mis à l'embêter: " Regarde la fifille qui pleure!"

À dix-sept ans, il était face à la vie et il avait de nouveau mal, il était fatigué, il avait peur aussi. Il craignait les responsabilités qu'il se devait d'endosser, il craignait l'avenir.

Souvent, il lui venait l'envie de pleurer, ou de parler à quelqu'un. Mais il ne le faisait pas, car il avait fini par mémoriser cette règle de vie: "Un homme, ça ne doit pas pleurer!"
Un homme, ça ne se lamente pas! Un homme, c'est courageux! Un homme, c'est fort!

En apparence, tous ces qualificatifs reflétaient bien celui qu'il était.  Mais parfois, il lui arrivait aussi de taper contre tout ce qui lui tombait sous la main lorsqu'il n'en pouvait plus. Lorsque sa force blessé, laissait derrière les barrières pour côtoyer la bestialité.

Sa douleur s'était transformée en frustration.

Aujourd'hui s'il se mettait à considérer sa vie, il pourrait dire qu'il était un homme accompli: Il avait un bon boulot, une maison, une femme, des enfants, de l'influence, du pouvoir. Mais il se sentait seul, oppréssé et il continuait de briser pour se défouler.

Hier soir, c'est sa femme qu'il a brisé.
Et à présent, il s'en voulait. Il s'en voulait de n'avoir pas su apprendre à extérioriser sa douleur, bien avant qu'elle ne se transforme en violence.

Chronique De Textes PerdusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant