Chapitre 6

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Wendy

          Je survole les toits du Berkeley Square, une vieille zone située à l'Est de ce qui était autrefois appelé l'Angleterre. Les bâtiments périphériques sont moins hauts, moins prestigieux que ceux de la Capitale.

Double mission, formellement exécutée, cette nuit : un dealer récidiviste ayant reçu un avertissement la semaine passée - avertissement qui lui aurait épargné de finir égorgé dans le lit de son amante s'il en avait tenu compte - ainsi qu'une femme trente ans, la fille du premier ministre. Ses deux enfants n'ont pas encore quatre ans, l'âge idéal pour le recrutement. Un aéroglisseur ne devrait pas tarder à passer pour récupérer les orphelins.

Un bruissement de cuir à peine froissé se fait entendre à une dizaine de mètres, à 4 heure. Je tourne la tête et observe les tuiles du quartiers, humides de bruine et faiblement éclairées par les rares réverbères pendus aux viaducs. 
Une silhouette glisse le long des gouttières, plus silencieuse qu'une panthère. Elle se projette d'une cheminée et atterrit en douceur à côté de moi. Aucun de nous ne s'arrête de courir.

- Louve, me salue-t-il.

- Adrian.

- Comment rentres-tu ?

- J'ai emprunté un aéronef de l'entrepôt Shepherd, il m'attend à quelques grues d'ici. Tu es le bienvenu, ajouté-je.

- Me laisse-tu piloter ?

- Si tu le souhaites.

Notre course nous amène devant une immense tourelle d'acier, revêtue d'un escalier en colimaçon. Sa façade entièrement composée de verre reflète la nuit d'encre et de métal à la manière d'un kaléidoscope, démultipliant les structures de la ville à travers son double vitrage. Je me surprends à me perdre dans la contemplation de ce jeu de miroir. Ma paire d'yeux incarnat fait tâche dans le paysage nocturne, réalisé-je sans réelle surprise, comme deux fenêtres sur l'enfer au beau milieu de tout ce noir. 


Le profil hautain d'Adrian remue imperceptiblement sur ma gauche, laissant mes maigres pensées s'évaporer. Je jette un oeil vers le haut : le toit doit bien se trouver à dix mètres au-dessus de nous.

Je calcule mon élan, saute et agrippe les barreaux. Mon corps se balance aisément par dessus la rampe, et je me retrouve face à une fenêtre. Je m'apprête à grimper la centaine de marches brinquebalantes, lorsqu'un mouvement attire à nouveau mon attention sur la double vitre.

Un visage horrifié me regarde de l'autre côté.

Des joues rondes, un petit nez écrasé contre la charpente rouillée et une tignasse brune emmêlée. D'immenses yeux écarquillés.

Cet enfant ne doit pas avoir plus de cinq ans.

Une bourrasque soulève mes cheveux et les fouette contre la vitre. Je ne bouge pas, attendant qu'il se mette à hurler de terreur.

Mais cela ne vient pas. Il penche la tête de côté, comme un oiseau intrigué. Et puis lentement, le coin de ses lèvres se redresse.

Son sourire me terrifie. 
Pourquoi ne hurle-t-il pas ?

Je le foudroie du regard et montre les crocs. "Retourne te coucher !" Le choc s'abat sur ses traits et son visage se crispe, les larmes humidifiant ses rétines plus vite que je l'aurais cru possible.

Une main me serre l'épaule. Je pivote d'un geste brusque vers Adrian, qui me fait signe de grimper les marches.

- Son expression était tordante, commente-t-il une fois tout en haut.

Les Enfants de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant