Chapitre 10

2.7K 348 59
                                    


Jack

            Dawkins me jette un sourire depuis sa loge de verre, un sourcil moqueur arqué au-dessus de son regard perçant. La satisfaction se lit sur son visage, et bien que je le connaisse depuis longtemps, j'ignore quoi penser de cette expression.

Ma part du marché est presque entièrement exécutée, et cela lui est presque jouissif. Je m'efforce de me souvenir que je fais cela pour Gavin, que le bras cassé de l'assassin en face de moi n'est qu'un moyen justifié par mes fins. Les yeux qu'Orwald posent sur moi sont empreint de confusion, un mélange de surprise et de colère. Il vient de perdre un combat, son honneur et peut-être même son statut.


Désolé, mon gars. C'est pour la bonne cause.

Cependant, je n'ai qu'à contempler la fine trace de sang dessinée sur son gosier pour raviver la colère qui s'était emparée de moi quelques instants auparavant. Il me semblait maîtriser le duel : jouer avec mon adversaire encore une ou deux minutes, histoire de rendre la chose crédible... Seulement, à partir du moment où j'ai eu le malheur de lever les yeux vers les strapontins d'assassin, tout en haut des gradins, et que cette vision d'horreur m'est apparue, mon flegme impeccable s'est volatilisé.

Une épouvante pure et simple est venue animer mes mouvements : il fallait que je les arrêtes, il fallait que je fasse quelque chose avant qu'il ne la touche...

Mais c'était déjà trop tard. Et cette frustration a bien failli coûter la peau d'Orwald, contre qui j'ai laissé exploser ma colère.

           Ce dernier me dévisage toujours de son air ahuri, sa tignasse un peu moins lisse qu'à l'ordinaire. Une boucle brune, plus courte que les autre, entoure sa mâchoire comme une lanière, le laissant prisonnier de son échec. Ses échecs. Mon petit doigt me laisse entendre que Madame Sharp sera bien surprise lorsque les assassins feront la file devant son atelier.

- Merci pour ce combat, lâché-je finalement, ma voix rauque traversant la cascade d'acclamations qui nous entoure.

Orwald finit, semble-t-il, par assimiler sa défaite. Il déglutit avec peine son ressentiment, jette son épée au sol sans me lâcher du regard, puis incline la tête en avant.

Je dois retenir un petit rire. Visiblement, les manières vont de pair avec le statut d'assassin : si n'importe quel espion ou messager aurait juré vengeance, lui, tire noblement sa révérence. Malgré toute la rage que je lui inspire, Orwald salue ma victoire, sa défaite, récupérant par la même occasion sa dignité. Le Maréchal a vraiment taillé ses diamants avec un maillet d'or !

L'assassin quitte la fosse d'un air nonchalant, sans se soucier des multiples regards qui convergent vers lui. Personne n'ose faire le moindre commentaire, au vu de la présence du Maréchal et de sa fille. Il remonte tout les gradins, croise deux de ses camarades - Gabriel, et cet enfoiré d'Adrian.

        Je lâche mes sabres sur la palette des armes, sors à mon tour de la fosse et me vautre sur le premier strapontin. Trois filles - dont une adossée aux jambes de Jasper - m'y accueillent à bras ouverts, leur moue de canard tendues vers moi d'un air aguicheur. Je satisfais la première arrivée sur mes genoux, d'un bref baiser claqué sur ses lèvres pleines de gloss. Je ravale mon dégout, réprimant l'envie de jeter un oeil par-dessus mon épaule afin de vérifier que Wendy n'a rien perdu de l'échange.

Je me sens puéril. Et ridicule, aussi. Cependant, il me faut un exutoire, et je l'ai trouvé : la fille qui gigote sur mes cuisses m'est familière, mais son nom m'est définitivement sorti de la tête. Elle est plus âgée que moi, probablement de la génération 12 ou 11.

Les Enfants de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant