Chapitre 7

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Wendy

Je me dirige vers le coeur de la Tour en fortifiant mentalement la Louve.

Démarche automatique. Le couloir plongé dans la pénombre se transforme en escalier. Trente-six marches décomptent les secondes qui me séparent encore de l'entrevue.

Regard fixe. Je pose la main gauche devant moi et caresse une surface de verre poli. Un vibration parcoure la porte, qui descend dans le sol pour me laisser pénétrer l'élévateur. J'entre en apnée à l'instant même où celui-ci remonte le long du conduit. Seuls trois personnes connaissent la minute sans oxygène qui nous attend dans cet ascenseur : Edgar, Adrian et moi-même.


Respiration modérée. A peine le toit de la cabine s'ouvre que l'air conditionné crachote et s'engouffre enfin dans mes poumons. Je ralentis la cadence de mon souffle, et m'abaisse juste avant que la plate-forme ne s'incruste dans le sol.

Une série de dix aiguilles sifflent au-dessus de mon crâne et se plantent dans la cible en mousse, accrochée au mur à cet effet.

- Qui donc t'a retenue si longtemps ?


La voix grave au timbre métallisé s'exprime doucement, comme si nous étions tout proches l'un de l'autre. Or je le sais tourné vers le fond de son bureau, assis droit comme une lame dans son fauteuil, vêtu de son costume blanc au pli impeccable.


Je reste plantée sur le socle de la cabine, attendant sa permission de mouvement.

Son mur constitue la seule source de lumière et de mouvement dans cette pièce. Il grouille comme une fourmilière, clignote par intermittence, recouvre le béton d'un relief virtuel en constante évolution.


Les New Kingdoms tout entiers s'agitent sous nos paires d'yeux affutés.

- Adrian, réponds-je de ma voix blanche - bien qu'il sache déjà la réponse.

- Ah ! s'exclame-t-il en faisant pivoter son siège.

Le regard en fil de rasoir qu'il laisse tomber sur moi rebondit sur mon mental d'acier. Auparavant, il le découpait comme du beurre, mais le fil des ans passés auprès de lui et Blazier s'est arrangé pour cela change : mon esprit fut endurci au même rythme que mon corps.

- Comment le juge-tu ? Personnellement, je lui trouve un charme indéniable. As-tu constaté la façon dont il se déplace ? Ses mouvements détiennent presque autant de grâce que toi, ma Louve. Sa programmation est parfaite. Un formidable agent, cela ne fait aucun doute.

Un énorme rictus fend progressivement ses lèvres minces, dévoilant une rangée de perles blanches parfaitement alignées, identiques aux miennes.


Mon père sourit souvent, au moins 2 fois toute les minutes. Je le sais car c'est ce qui me permet de cerner ses habitudes : un demi-sourire révèle le plus souvent sa patience, augurant une audience particulièrement longue. Un sourire fermé signifie que le quart d'heure suivant ne sera pas plaisant - probablement parce que le Maréchal n'est pas satisfait -, et si ses lèvres sont pincées, l'on peut être assuré que ce quart d'heure restera gravé dans notre mémoire post-traumatique.

Quant à ce rictus ouvert, celui qui laisse sa dentition parfaite absorber la lumière bleue des néons et fait ressortir ses canines légèrement pointues, il annonce la surprise. Je ne sais jamais quoi appréhender lorsqu'il m'observe de cette façon.

- C'est un très bon assassin, dis-je finalement.

- Le plus doué que nous avons formé, sur ton modèle, bien entendu. Je sais déjà tout cela, ce qui m'intéresse, c'est ce que toi, tu penses de lui.

Les Enfants de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant