A cause du problème de câble, les gars enchaînent directement sur notre chanson la plus connue. Quand les petites notes aiguës de Gavin retentissent, suivis peu après de la batterie, la foule crie et les téléphones portables se mettent immédiatement à éclairer la fosse. La salle chantonne chaque mot, chaque syllabe que je prononce. Nous sommes comme une chorale. Les filles se mettent sur les épaules d'un de leurs amis et dansent au rythme de la musique.
- Allez Londres, chante !
Je m'arrête un instant, retournant le micro du côté de la salle, qui se mets immédiatement à chanter les paroles, puis, dans leur élan, je leur laisse une partie supplémentaire avant de reprendre avec eux :
-Reste, reste, reste, reste, reste, bébé, reste. Chanté-je, la voix déraillante.
C'est la fin de la chanson. Gavin improvise un nouveau début de "Voix Sereine", mais Pino débarque au milieu de la scène.
- Tu fous quoi? Dégage ! Hurlé-je.
Il m'enlève l'oreillette servant à entendre les autres instruments et s'approche de mon oreille.
- Maggie!
J'entends pas, putain, parle plus fort.
Je hausse les épaules.
- Hôpital! Beugle Pino en postillonnant. Accident !
Choqué, mon micro tombe sur le sol, produisant un énorme bruit insupportable résonnant dans toute la salle, et encore plus dans ma tête. J'essaye d'analyser les deux mots que Pino vient de dire.
Maggie. Hôpital. Hôpital. Maggie. Maggie. Maggie. Maggie à l'hôpital. L'accident !
Pris de panique, j'arrache le reste du dispositif d'écoute et me dirige vers les backstages. Je traverse la foule d'invités, rejoins la sortie et cours dans la rue en direction du lieu où notre voiturier nous a laissé, celui où a eu lieu l'accident plus tôt, en me rétamant dans la neige glissante.
Et puis, je remarque la voiture de Maggie. Elle a été pulvérisée. Les portières ont été arrachées, sûrement dû au choc. Le châssis a traversé la route, le moteur est éventré. Les roues ont volé jusqu'à l'entrée d'un restaurant à plusieurs mètres, ainsi que les enjoliveurs.
Le regard vide, mes mains serrant une poignée de mes cheveux, je ne peux pas y croire. C'est sa voiture, elle est là, devant moi, et Maggie ? Où est Maggie ?
- Monsieur ?
Une voix résonne dans mes oreilles, me faisant sortir de mes pensées.
- Tout va bien ? Monsieur ?
Un flic me regarde. Il paraît inquiet. Mais inquiet de quoi ? Ou pour qui? Aucun son ne sort de ma bouche, même si l'envie y est. Ma bouche s'entreouvre, mais rien n'en sort, absolument rien.
- Vous connaissiez une personne dans l'accident? Lâche-t-il, détaché de cette situation qu'il ne comprend pas et que je ne comprends pas, par la même occasion.
Encore une fois, j'aimerai pouvoir dire oui. Un simple oui.
Soudain, une autre voix résonne, celle de Pino.
- Bonsoir monsieur l'agent ! Excusez-le, il n'est pas dans son assiette.
Je ne suis pas dans mon assiette ? Quoi ? Tu déconnes?
- Où... où est Ma-Maggie? Bégayé-je.
Mais ils ne m'écoutent pas.
- OU EST MAGGIE ? MAGGIE STONEM ! M'égosillé-je.
Soudain, le silence. Puis, quatre foutus yeux se retournent sur moi.
- Vous êtes un ami de la conductrice?
- En fait, c'est sa petite-amie. Répond Pino à ma place.
- Oh, d'accord. L'ambulance l'a amené à St-Thomas, vers Westminster.
En trombe, je rejoins un taxi, laissant Pino derrière moi. Et l'instant d'après, un instant qui m'a paru des heures, je cours vers l'entrée de l'hôpital.
Au soin intensif, l'endroit où l'on m'a dit que Maggie était, un calme plat règne. Je m'approche de la porte qui me sépare d'elle, mais on me bloque le passage.
- Vous ne pouvez pas accéder à cette partie de l'hôpital, Monsieur! Explique une infirmière.
- Comment ça, je ne peux pas entrer? M'énervé-je.
- Vous ne pouvez pas y entrer, je vous dis.
- Qu'est-ce que c'est cette connerie? Hurlé-je.
Toutes les infirmières se retournent, l'air soucieux. Puis, une vieille grisonnante s'approche. Elle plisse sa blouse blanche.
- C'est pour quoi?
Je m'éclairci la voix, et annonce:
- J'aimerai voir une patiente.
- Ma collègue vous a dit que ce n'était pas possible, reprend-t-elle calmement.
- Mais il y a ma copine, Maggie, elle est...
- Entre de bonnes mains, Monsieur. Ne vous inquiétez pas. La salle d'attente est plus loin dans le couloir.
L'infirmière paraît exténuée, trop exténuée pour se montrer compatissante. Puis, d'un geste du doigt, elle m'indique la salle.
Je sais lire une affiche, bordel.
- Je viendrai vous donner des nouvelles quand nous en aurons.
- C'est ça.
Puis, elle repart derrière cette maudite porte. Cette porte qui reste fermée pour moi. Avec Maggie à l'intérieur.
VOUS LISEZ
Détestable (Fêlé II)
General FictionAdam s'avance sur l'énorme scène du Royal Albert. Comme à chaque fois, son apparition fait redoubler les cris perçants du public d'intensité, formant une sorte de mur du son infranchissable. L'écho de leurs voix est inlassable et résonne dans toute...