Je commençais à comprendre une chose : il fallait que j'accepte de revoir ma mère. Ça coinçait au fond de ma gorge ; une grosse boule qui ne passait pas. Je ne voulais pas mais pourtant il fallait. C'était une épreuve de réalité à laquelle je ne pouvais échapper si je voulais pouvoir sortir.
Avant que j'y parvienne il y avait eu tout un processus de reconstruction, comme disaient les infirmières et le psychologue de l'établissement. L'établissement, un euphémisme pour dire Hôpital Psy, l'asile de fous. On te laissait pas sortir comme ça. On s'assurait que tu n'étais pas dangereuse, pour les autres, pour toi. Prendre tes médicaments, manger ce que l'on te sert, faire preuve d'intérêt pour ce qui se passe autour de toi, pour les autres, être actif, avoir un projet, être « normale ».
C'est par l'atelier théâtre que j'ai trouvé une piste: jouer la comédie, jouer un rôle. La vie, ce n'est jamais que cela : jouer à être la bonne fille, suivre son texte et ne pas trop improviser, faire comme on t'as dit de faire, ce que l'on attend de toi, même si c'est pas ce que tu as envie, ni ce que tu penses. La vie n'est qu'une représentation ; il faut porter son masque et son costume et ne l'enlever qu'avec ceux en qui tu peux avoir vraiment confiance... Il n'y en a pas beaucoup. Et puis sur le moment, c'est quelque chose que je ne voulais pas voir, que je comprenais pas encore, mais la comédie, c'était aussi ma mère qui durant toute mon enfance m'avait raconté qu'elle était une actrice.
On a construit comme ça mon projet ; je voulais intégrer un nouveau lycée, loin de ma mère, en internat, avec une section théâtre pour m'orienter professionnellement dans cette voie. J'ai alors demandé à reprendre mes cours, pour finir mon année de seconde... c'était un peu tard mais j'ai reçu mes cours par correspondance ; j'ai essayé de bosser une peu de français, surtout la littérature et des maths. Mais c'était dur ; j'avais du mal à réfléchir... même si je me suis aperçu au bout de quelques temps, qu'ils avaient diminué ma dose de médicaments... c'est pour ça que j'ai persévéré. J'y tenais à cette section, car il n'y en avait pas dans notre ville et ça me permettait donc de partir. J'avais bien intégré leurs mots et je savais maintenant leur dire ce qu'ils voulaient entendre. J'apercevais enfin la sortie.
A ce moment-là, je dois l'avouer avec honte, j'avais complètement effacé Mom' de mon esprit. Il n'y avait plus que ma mère qui prenait toute la place, et un néant qui était mon père et qui menaçait toujours de m'aspirer.
Mais je ne pouvais sortir sans revoir ma mère. J'ai dû accepter ses visites. Profil bas. Impossible de croiser son regard. Je me sentais me recroqueviller au fond de moi. Et tout de suite les questions, sans lui laisser le temps de réfléchir, de composer son personnage, la surprendre, la déchirer pour extraire d'elle la vérité, celle que je voulais entendre.
« C'est toi qu'a prévenu les flics ? Pourquoi il a pas voulu me voir, qu'est-ce que tu lui as dit ? Tu l'as appelé pour le prévenir, pour qu'il me voit pas ? »
« Qui, il ? »
« Mon père. »
« Quel père, t'as pas de père. Tu n'as qu'une mère. »
« J'ai pas rêvé ! Je le connais ! Il est venu souvent à la maison quand j'étais petite. Il m'a pris dans ses bras !» Etait-ce une question ou une simple constatation ? Un mince sourire passe sur son visage. Elle répondit d'une voix très douce :
« Es-tu sûre que ce soit ton père ? »
Un trou se creuse à mes pieds. Je m'accroche à ma chaise pour ne pas tomber.
« C'est toi qui me disait... »
« J'ai raconté beaucoup de choses ; sans doute trop... je voulais que tu sois heureuse, une petite fille normale. J'ai voulu composer une famille normale, j'ai inventé une histoire pour toi.»
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Mom' pour la vie
RomanceEléna a quinze ans quand commence son histoire. C'est la rentrée. Dans la cour du lycée, les yeux de toutes les filles sont braqués sur Mohamed, dit Mom'. Le thème du passage de l'adolescence est traité avec beaucoup de justesse. La vulnérabilité...