Latence

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Presqu'une année s'écoula. Maman a déménagé et s'est installée dans un petit appartement de trois pièces, dans une belle résidence de l'autre côté de la ville, côté banlieue chic... plus près de son travail me dit-elle, ce qui me faisait rire. Je voyais moins Gaby, et Marion. Pas de nouvelles de Djamel, ni de Mom's et je n'en demandais pas. J'essayais d'oublier mon passé, de devenir une autre personne, adulte et finalement, le déménagement de maman m'arrangeait bien. C'était un changement qui clôturait une période de ma vie, mon enfance. Elle m'assura avoir placé la part de la maison qui me revenait sur une assurance à mon nom ! En quel honneur ? L'argent qui lui avait permis en premier lieu d'acquérir la maison ne venait-elle pas de sa propre mère ? Où bien elle avait touché quelque chose pour moi, de mon père ? Quand j'insinuais cette idée, elle me fusilla du regard et me pria de ne pas recommencer... Recommencer quoi ? Une quête que sa possessivité maladive et son refus de m'aider m'empêchait de mener ? Elle ne répondit rien à cela, comme toujours, et ce week-end-là, un des rares où j'étais venue, se finit dans le mutisme et l'évitement. Je préférais commander un taxi pour retourner à la gare, plutôt que d'endurer son silence et sa rancœur durant le trajet.

Je ne revins qu'à Noël, qui fut moins chaleureux que le précédent. Maman était comme absente et fatiguée et je n'avais rien prévu de spécial pour le réveillon que nous avons passé devant la télé. Pour le jour de l'an, je retrouvais mes amis du lycée Signoret et je repartis donc. Pas de Gaby à l'horizon, ni de Djamel, encore moins de Mom'. J'envoyais juste des petits messages hypocrites en guise d'excuses... je n'avais rien à dire. J'étais toute engourdie, en état d'hibernation...

Nous essuyâmes une tempête de neige début janvier, puis le beau temps se leva. Je levais la tête et j'aperçus la beauté du monde qui m'entourait, le soleil scintillant sur les arbres dénudés et gelés, la blancheur recouvrant la ville d'un manteau flatteur. Et je tombais amoureuse. Quand je dis amoureuse, ce serait plutôt dans un état amoureux... à moins que ce ne fût plus exactement une violente pulsion sexuelle, un furieux désir d'effacer le souvenir des caresses de Mom' et de Djamel qui me poussa contre d'autres corps.

Il y eu d'abord Lucas, un grand jeune homme mince dont les mains longues et graciles d'une agilités de pianiste me mettais en transe. Je les imaginais effleurer, caresser, appuyer mon corps avec la même virtuosité que son clavier et mon plaisir rendre une aussi sublime musique que ses mélodies. Je fus déçue de sa maladresse et de sa précipitation que je pris d'abord pour de l'innocence. J'insistais donc puis me décourageait : l'étude de mon corps l'intéressait visiblement moins que celle des partitions de musique rendue sur son clavier.

Bastien était presque le garçon parfait : une tête bien faite, un corps d'athlète. Intelligent, fin, sensible, j'étais prête à m'attacher et plus si affinité... mais c'est lui qui ne l'était pas Nous nous sommes croisés, connus et reconnus, puis quittés car il n'était pas temps, ni pour lui ni pour moi.

Benjamin utilisait l'arme de l'humour pour mettre les filles dans son lit. Il n'était pas vraiment beau garçon, petit et maigre, un peu voûté, les dents en bataille, le cheveu châtain ignorant le ciseau et le peigne mais sa drôlerie, son mordant, et son impertinence renversaient les filles, au propre comme au figuré. Il était d'une curiosité insatiable et passer au lit avec lui équivalait à un cours d'anatomie intégrale, doublé d'une leçon de philosophie, assaisonné d'un one-man-show hilarant. Mais son avidité sexuelle nuisait à l'établissement d'un lien affectif. Il fallait être disponible quand il l'était car si on le ratait, on n'était pas sûr de le recroiser... Finalement, ça me convenait bien.

Mathieu le taiseux aux yeux profonds comme un lac de montagne ne révéla aucun de ses secrets dans l'intimité de l'alcôve. Peut-être n'en avait-il pas ? Richard le bavard cachait sa timidité sous ses discours passionné sur l'art dramatique, le théâtre du dix-huitième qu'il connaissait sur le bout des doigts. Mais sur scène comme au lit, il était d'une désespérante nullité à exprimer la moindre émotion.

L'année scolaire toucha sa fin, et avec elle, les épreuves anticipées de français s'approchèrent. J'abandonnais mon marivaudage pour me consacrer aux révisions de français, sérieusement. Je décidais de passer les vacances de printemps avec maman pour m'isoler de ma bande de copains comédiens qui me distrayait trop. Nos relations s'étaient éclaircies. Au téléphone, je l'appelais une fois par semaine, je la trouvais détendue, heureuse. Pourtant je ressentie une réticence inattendue quand je lui fis part de mon projet.

« Tu ne veux pas me voir ? » lui demandais-je tout de go.

« Non ! bien sûr que ça me ferais plaisir... je m'arrangerais... »

« C'est cela, en fait, je te dérange ! » Je commençais à m'énerver.

« Non ! C'est que... ça fait longtemps que j'aurais dû en parler avec toi, mais tu n'es pas venue depuis Noël. »

« Donc tu veux me voir, parce que tu as quelque chose à me dire ? C'est au sujet de mon père ? »

« Ça, il faut que tu laisse tomber, c'est du passé. »

« Pas pour moi. »

Je l'entendis soupirer. Elle dit doucement avant de raccrocher « Je viendrais te chercher à la gare, ma chérie, au train habituel. Je t'embrasse ».

Mom' pour la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant