Chapitre 12 : Chuter du 7e ciel, c'est haut quand même

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Cynthia se réveilla au petit matin, encore grisée par la nuit qu'elle avait passée avec Rodrigue. Aussi loin qu'elle puisse remonter dans ses souvenirs, jamais elle ne s'était sentie aussi légère, jamais elle n'avait ressenti un pareil bonheur. Elle en avait presque oublié les évènements tragiques de la veille, la mort de leur très cher ami Obiwan.

La petite julienne de légumes n'était déjà plus à ses côtés. Cynthia étira son corps de tout son long, puis se mit lentement à nager dans les environs pour le trouver.

Elle aperçut ses petits brins de légumes si caractéristiques au détour d'un rocher. Elle s'approcha doucement de lui.

"Bonjour, susurra-t-elle au creux de son oreille. Bien dormi ?"

Mais lorsque Rodrigue se retourna, elle comprit que quelque chose clochait. Il avait le teint pâle, les yeux fatigués, et de grands cernes violets marquaient ses lamelles de concombre.

"Oh mon dieu Rodrigue ! s'enquit-elle immédiatement d'une voix inquiète. Pourquoi es-tu dans cet état ? Tout va bien ?

- Je n'ai pas pu dormir de la nuit..., répondit le tas de légumes en haussant les épaules faiblement. Je me sens ballonné, et j'ai incroyablement mal à l'estomac.. J'ai déjà vomi trois fois et j'ai toujours le cœur au bord des lèvres."

Cynthia planta ses yeux tristes dans ceux de son amour, mais ce dernier ne tarda pas à se détourner pour se remettre à cracher faiblement du jus de légumes. Elle posa délicatement le bout de sa nageoire dans son dos et le frotta de haut en bas. Quand Rodrigue se retourna de nouveau vers elle, ses yeux étaient désolés.

"Excuse moi Cynthia, soupira-t-il. Ça tranche avec l'image que je t'ai donnée hier soir..."

La baleine sourit au souvenir de Rodrigue lui claquant les fesses avec sa carotte musclée.

"Ce n'est pas grave Rodrichou, dit-elle d'une voix douce et réconfortante. Tu dois avoir mal digéré quelque chose. Retourne te coucher, repose toi. Je vais aller chercher de quoi te soulager.

- Merci..."

Cynthia déposa un léger baiser sur son front et le jeune légume prit lentement le chemin de la crique, secoué par de petites quintes de toux. Elle le regarda s'éloigner, le cœur serré de le voir dans cet état.
Ondulant entre les eaux, elle se dépêcha de gagner la bibliothèque publique de la Grande Barrière de corail afin de chercher de quoi son petit Rodrigue pourrait bien souffrir.

L'édifice était immense, érigé dans une grotte sous-marine baignée d'étranges jeux de lumière. D'énormes étagères couraient le long des parois, il devait bien y avoir plusieurs milliers de livres, tous soigneusement rangés par ordre alphabétique.
Il n'y avait personne en cette heure matinale. Tout au fond de la grotte, la bibliothécaire, une sorte d'énorme pieuvre somnolait. Cynthia s'approcha timidement de son bureau, subjuguée par la taille de ce monstre, qui devait être au moins du double de la sienne.

"Le kraken, chuchota-t-elle pour elle-même avec une pointe d'admiration."

Elle avait toujours entendu parler de cette star des océans, la seule créature qui arrivait à ne pas se faire boloss par les humains, mais elle n'avait jamais eu l'occasion de le rencontrer en chair et en ventouses. Elle avait bien lu quelque part qu'il avait décidé de prendre sa retraite, fatigué de parcourir les océans pour terroriser les marins, mais quelle était la probabilité qu'il vienne s'installer ici ? Elle était nulle en maths, mais ça devait bien être très peu.

La chose bâilla, dévoilant des centaines de dents acérées disposées en cercles concentriques dans une gueule immense. Son haleine fétide vint chatouiller les narines de Cynthia, qui se sentait encore plus intimidée.

"Excusez moi jeune demoiselle, je m'étais quelque peu assoupi, souffla-t-il de sa voix rauque de célébrité. En quoi puis-je vous aider ?"

Tout en parlant, il rangea ses tentacules sous son ventre, essayant peut-être de paraître le moins imposant possible, chose a priori peu simple lorsque l'on est une putain de pieuvre géante.

"Je venais me renseigner sur les symptômes d'une indigestion, reprit Cynthia en sortant de ses réflexions pas assez intéressantes pour être décrites en détail.

- Indigestion..."

L'énorme poulpe allongea l'un de ses tentacules et saisit un livre, comme au hasard, sur l'une des étagères.

"Voilà qui devrait vous aider, reprit-il en tendant l'ouvrage à Cynthia. L'une des oeuvres du grand Docteur Gérard Tissimeau, Doc Tissimeau pour les intimes, rien de tel pour se renseigner sur ce genre de sujets.

- Merci beaucoup."

Serrant la couverture d'algue rigide entre ses nageoires, Cynthia alla s'installer dans un coin de la salle tandis que le monstre semblait replonger dans le sommeil. En ouvrant, elle tomba directement sur un index regroupant différents symptômes, puis elle tourna les pages jusqu'à la section correspondant aux maux dont semblait souffrir Rodrigue.

"Les principaux signes de l'indigestion, était-il écrit, se manifestent par d'intenses maux d'estomac et des vomissements, voire occasionnellement des maux de tête plus ou moins importants. Ce n'est pas la peine de vous inquiéter, ce n'est pas bien grave. Veillez simplement à bien vous hydrater, les vomissements ont tendance à beaucoup affaiblir.
Généralement, les symptômes se manifestent douze à trente-six heures après l'ingestion de l'aliment qui en est source. Il n'y a rien à faire, à part attendre que le mal passe. Il est plutôt déconseillé de manger, même si la perte d'appétit fait bien souvent également partie des symptômes.
Cepandant, attention ! Si un sorcier marocain vous a offert quelques jours auparavant des cornes de gazelle, elles étaient certainement maraboutées. Vous avez donc tous les symptômes d'une indigestion bénigne, mais c'est un cancer. Désolé. Bisous."

Cynthia releva vivement la tête, le regard planté droit devant elle. Dans son esprit, l'image d'Haziz se forma en 1080p. Haziz, le concombre de mer des One Ocean. Haziz, le marocain. Haziz, qui avait offert à son fiancé des cornes de gazelle. Tout fut clair en moins d'une seconde ; elle en était certaine, ce concombre avait volontairement empoisonné Rodrigue, il n'y avait aucun doute possible.

Cynthia était partagée entre une multitude de sentiments différents. Elle était en colère. Elle éprouvait de la haine envers Haziz, cette vile créature digne des flammes de l'enfer. Mais surtout, elle sentait un vide se creuser dans sa poitrine. Elle voulait pleurer, crier, hurler sa peine. Rodrigue avait un cancer. Tout comme Obiwan Kenobite la veille, Rodrigue allait mourir.

Cyndrigue, les amants maudits des profondeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant