Chapitre 13 : Triste nouvelle

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C'est le cœur lourd que Cynthia reprit le chemin inverse. Elle n'arrivait toujours pas à saisir la situation. Elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi Haziz aurait fait une chose pareille. Et pourtant, elle savait qu'elle devait y croire, et accepter l'évidence : Haziz n'était qu'une petite enflure qui avait empoisonné l'amour de sa vie.

Quand elle arriva dans la petite crique, Rodrigue se reposait toujours. Elle l'observa longuement, sentant des larmes monter dans le fond de sa gorge. Comment pouvait-elle lui avouer cette sombre nouvelle ? Lui qui dormait si paisiblement... Elle n'avait pas la force de le tirer de cette douce torpeur pour lui avouer l'origine de ses maux de ventre et vomissements.

Alors qu'elle l'observait dormir en silence la gorge serrée, il ouvrit un œil. Il semblait fatigué, mais sourit en voyant sa belle à ses côtés.

"Tu es rentrée depuis longtemps ? demanda-t-il en frottant paresseusement ses petits yeux encore lourds de sommeil."

Son sourire se fana. Quelque chose clochait chez Cynthia. Pourquoi semblait-elle aussi triste ? Était-ce la perte de Kenobite qui la mettait dans un état pareil ?

"Eh, mon petit canard ? se reprit-il à mi-voix en promenant le bout d'un concombre le long de la joue du cétacé. Quelque chose ne va pas ?"

La baleine plongea ses yeux dans les siens, et Rodrigue sentit alors à quel point il l'aimait. Il l'aimait de tout son petit cœur de navet. Oui, c'est à ce moment bien précis qu'il se rendit compte qu'elle avait rendu son existence tellement plus belle, depuis qu'elle l'avait délivré de Plage-Poubelle. Il avait tout de suite su qu'ils étaient faits l'un pour l'autre, et il remerciait encore cette chère (mais grave relou) Cornélia pour l'avoir poussé à se jeter à l'eau pour la suivre.

À la voir aussi malheureuse, il se sentait empli d'un étrange sentiment de tristesse, lui aussi. Il voulait lui remonter le moral à tout prix, il voulait voir ses fanons filandreux se dévoiler dans un sourire, ce sourire qu'il aimait par dessus tout. Il aurait même été prêt à lui décrocher un poisson-lune s'il le fallait.

"Cynthia..., soupira-t-il.

- Ça va, répondit sa dulcinée d'une voix étranglée.

- Cynthia."

Rodrigue lui lança un regard entendu, et elle baissa la tête.

"Non, tu as raison, ça ne va pas, admit-elle. Tu... C'est grave Rodrigue.

- Grave ? Qu'est ce qui est grave ?"

La julienne de légumes se redressa et plongea son regard dans les yeux tristes du cétacé.

"Que veux-tu dire Cynthia? Je vais mieux que tout à l'heure tu sais. Je n'ai plus envie de vomir, ce n'est pas la peine de te mettre dans des états pareils...

- Tu ne comprends pas."

La voix de la baleine était sèche et avait claqué comme un coup de fouet.

"Non en effet, je ne...

- Je ne sais pas si je dois te le dire, le coupa la baleine d'une petite voix. Peut-être qu'il vaut mieux que tu ne saches rien...

- Cynthia ! la réprimanda Rodrigue d'un ton autoritaire. Si l'on est ensemble, c'est pour tout partager. Dis-moi ce qui te tracasse autant, je veux t'aider.

- Tu ne peux rien faire..., répondit sa dulcinée, au bord des larmes.

- Pourquoi ? Dis-moi ce qui se passe à la fin !"

Cynthia essaya de parler, mais ses mots s'étranglèrent dans le fond de sa gorge et elle éclata en sanglots. Rodrigue tendit ses brins de légumes et la serra contre lui.

"Chut, fit-il d'une voix calme et apaisante. Ça va aller, calme toi mon chaton des îles. Tout va bien all...

- Non ça n'ira pas bien ! explosa Cynthia, hystérique. Ça n'ira pas bien Rodrigue ! Tu vas mourir !"

Le légume se figea sur place alors que la baleine enfouissait sa grosse tête dans ses nageoires.

"C-Comment ça ?

- Je l'ai lu, dans un livre, dit-elle entre deux sanglots. Ce matin à la bibliothèque."

Elle entreprit alors de lui raconter ses lectures, du kraken au cancer, sans omettre bien sûr la responsabilité d'Haziz le concombre marocain dans toute cette histoire.
Rodrigue n'en revenait pas. Il ne parvenait pas à croire que la pop star ait pu lui faire un coup bas pareil. Certes, il l'avait remballé d'une manière peu courtoise, mais méritait-il un courroux pareil ? Méritait-il vraiment d'être empoisonné de la sorte ?

Tous les deux sous le choc de cette triste nouvelle, ils sursautèrent lorsque quelqu'un toussa dans leur dos. Ils se retournèrent d'un même mouvement vers l'entrée de la crique, où se tenait un petit hippocampe bleuâtre qui avança vers eux dans un bruit de bulles.

"J'ai entendu pleurer, donc je me suis permis d'entrer, fit-il sans aucune gêne."

Il remua le bout de son long nez fin et chassa une larme de la joue de Cynthia. Rodrigue était tant empli de peine qu'il n'éprouva même aucune jalousie de l'élan d'affection de cet inconnu envers sa bien aimée.

"Je me présente, continuait le minuscule poisson. Cyril Khnouna, chroniqueur en chef de Touche Pas À Mon Récif. Qu'est-ce qui cloche mes petites beautés ? Pourquoi ces minois si tristes ?"

En entendant le nom de son émission préférée, Cynthia se ressaisit quelques secondes ; sans le maquillage dont il devait être badigeonné pour passer à la télévision, elle ne l'avait même pas reconnu.

"Il faut dire que nous avons un petit souci..., fit-elle d'une petite voix, alors que Rodrigue restait figé dans un mutisme imperturbable.

- Je suis sûr que je peux faire quelque chose pour vous. Après tout, avec tout l'argent que je vole aux téléspectateurs, je peux tout faire. Allez ma chérie, explique à Baba ce qui ne va pas."

Cynthia expliqua à Baba ce qui n'allait pas.

"Ah ouais, fit Cyril Khnouna. Miskine ça craint.

- Comme vous dites, répondit Cynthia d'une voix triste."

La baleine chemina jusqu'au frigidaire aménagé dans un coin de la crique et se prit un Capri-Sun. Le petit hippocampe, lui, sembla réfléchir un instant, puis il se mit à sourire.

"Je pense que j'ai la solution à votre problème."

Cynthia ravala ses larmes, et même Rodrigue sembla un peu plus attentif à la situation.

"C'est vrai ? À quoi pensez-vous Baba ?

- En Tunisie on s'y connaît bien en sorcellerie aussi. C'est vrai que nous ne sommes pas au niveau des marocains, mais j'ai un petit réseau de connaissances pas piqué des hannetons dans le domaine du maraboutage, et je pense connaître quelqu'un qui pourrait vous aider."

Cynthia buvait les paroles du chroniqueur tout en buvant son Capri-Sun.

"Il s'appelle Sylvain Pierre Durif, aussi connu sous le nom du Grand Monarque, le Christ Cosmique, et quarante-cinq autres sobriquets que j'ai oubliés. C'est un poulpe marabout de renom. Si vous lui expliquez la situation, je suis sûr qu'il parviendra à vous aider.

- Merci, merci infiniment, soupira la baleine, qui avait retrouvé le sourire. S'il arrive à sauver Rodrigue, nous vous en serons éternellement reconnaissants.

- Il y arrivera, sourit l'hippocampe avec un clin d'oeil. C'est un génie."

Cyndrigue, les amants maudits des profondeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant