Cyndrigue, les amants maudits des profondeurs

Chapitre 14 : Où allons-nous ? *clap clap clap*

"Allons-y let's go ! C'est parti les amis ! Allez, chante avec moi Rodrigue !"

Mais Rodrigue n'avait pas envie de chanter. Il suivait lentement l'élue de son cœur, tête tournée vers le sable, sans un mot.

"Fais pas la gueule Rodrichou, reprit Cynthia en lui donnant un petit coup de nageoire. Tu as entendu ce qu'a dit Baba ! Monsieur Durif va te sauver !"

Rodrigue se contenta de hausser les épaules. Le cétacé suivit à la lettre les indications de Cyril Khnouna. Il leur fallait suivre le CEA, le Courant Est Australien, pendant trois lieues environ. Ce petit coquin les ferait passer juste devant Sydney.
Lorsqu'ils arrivèrent à une immense tranchée entre deux rochers, ils passèrent au travers et pas par dessus, comme le leur avait bien dit le chroniqueur - même si Cynthia frôlait les parois de part et d'autre.

Après avoir rejoint le CEA, s'être fait porter sur trois lieues en compagnie d'une colonie de tortues marines, et enfin avoir navigué de nouveau plusieurs minutes, ils arrivèrent dans l'un des quartiers mal famés de la baie de Sydney. C'était ici que devait se cacher Sylvain, selon les dires de Khnouna.

Des poissons peu fréquentables, le visage barré d'énormes balafres, regardaient passer les deux étrangers avec mépris et arrogance. Cynthia était inquiète et ne se sentait pas du tout en sécurité dans un tel endroit, même en compagnie de Rodrigue.

C'est finalement sans encombres qu'ils parvinrent à une grotte sous-marine, dont l'entrée était masquée par de hautes algues qui s'agitaient dans le courant. Cynthia avala difficilement sa salive et poussa les algues du bout de sa nageoire. Elle jeta un petit coup d'œil à Rodrigue, qui paraissait toujours aussi mort de l'intérieur. 

"Après toi Rodrichou, fit-elle avec une pointe de peur dans la voix."

À l'intérieur, il faisait sombre. Cette grotte était loin d'être aussi accueillante que celle qui abritait la bibliothèque ; les plafonds étaient moins hauts et il y régnait une atmosphère morbide plutôt désagréable. 

"Il y a quelqu'un ? hésita la baleine d'une voix tremblante."

Ces quelques mots se répercutèrent en échos devant elle, accentuant l'effet un peu terrifiant de l'endroit. Rodrigue et elle avançaient dans l'obscurité. Une lueur apparut sur leur droite, les faisant sursauter. Un poulpe se tenait là, son visage et son crâne dégarni partagés entre ombres et lumières. Cynthia devina sans peine son identité à la flûte de pan qui traînait au pied de ses tentacules.

"Monsieur Durif ? fit-elle, le cœur un peu plus léger. Monsieur Durif, nous venons chercher votre aide."

Le poulpe eut un petit mouvement de la tête et afficha ce qui ressemblait à un sourire.

"Je serais enchanté de vous aider, répondit-il d'une voix très lente. Je suis Sylvain Pierre Durif, alias le grand monarque, le Christ cosmique. J'incarne la puissance d'Oriana. On me qualifie d'homme vert, parce que je suis en lien avec l'énergie de Merlin, donc Merlin l'enchanteur..."

Cynthia était époustouflée devant tant de titres de noblesse paranormale.

"Comment puis-je vous aider ? Vous voulez que je vous parle des reptiliens ? Saviez-vous qu'ils organisaient en complicité avec le Vatican des rituels, des rituels qu'on qualifie de rituels sataniques, pendant lesquels ils tuent des bébés et des jeunes femmes pour manger leur chair...

- N-Nous ne sommes pas venus pour ça, le coupa Cynthia avec hésitation."

Elle jeta un regard à Rodrigue, qui n'était plus que l'ombre de lui-même.

"Mon ami a un problème, reprit-elle. Et... on nous a conseillé vos services, pour y remédier.

- Un problème ? Quel genre de problèmes ? Les vaisseaux de Vénus vous veulent du mal ? Je suis en lien avec eux, je pourrais facilement les contacter pour...

- Pas exactement."

Cynthia s'en voulait de couper un si respectable personnage dans ses discours, mais elle sentait qu'il était capable de partir loin, très loin. Et ils n'avaient que peu de temps. Elle plongea son regard dans les petits yeux brillants de sagesse :

"Un concombre de mer marocain lui a donné des cornes de gazelle maraboutées qui ont provoqué un cancer, dit-elle d'une voix étranglée.

- Un sorcier marocain, je vois... Vous avez des ennemis puissants, rétorqua gravement le poulpe. Laissez moi examiner le malade."

Sylvain s'approcha de Rodrigue et le scanna de sa puissance spirituelle, faisant des gestes étranges avec ses tentacules. Puis il s'immobilisa et resta silencieux une longue minute.

"La situation est désespérée, je ne vois qu'une seule solution mais elle est bien hasardeuse. Il me faut tenter un exorcisme. Je vous laisse en discuter tous les deux, vous me donnerez votre réponse. En attendant je vais purifier mes chakras au cas où vous auriez besoin de mes compétences."

Sur ces paroles mystiques, Sylvain s'en alla dans le fond de sa grotte en ondulant.

Cynthia regarda piteusement son compagnon. Un exorcisme... Ce mot lui rappelait d'étranges souvenirs de films qu'elle avait vu passer à la télévision, quelques temps auparavant. Et ça lui faisait peur, bien sûr. Elle avait peur que Rodrigue ne survive pas à cette expérience hors du commun. Pire encore, elle avait peur qu'il survive mais qu'il ne soit plus jamais le même et développe de drôles de mœurs peu recommandables.

"Rodrigue, souffla-t-elle, anxieuse. Rodrigue, s'il te plaît, promets-moi que jamais tu ne chercheras à enfoncer un crucifix dans l'un de tes orifices génitaux."

Le jeune légume, qui s'était quelque peu ressaisi, ouvrit des yeux ronds.

"Mais enfin qu'est ce que tu racontes Cynthia ? s'indigna-t-il. Jamais une telle idée ne me viendrait à l'esprit.

- On ne sait jamais..., soupira la baleine en haussant les nageoires."

Ils restèrent dans le silence durant de longues secondes, un silence lourd uniquement troublé par les vrombissements de la respiration du cétacé. C'est finalement Rodrigue qui reprit la parole le premier, d'une petite voix étouffée.

"Qu'est ce que tu penses de sa proposition ? 

- Oh."

Cynthia eut l'air surprise par sa question.

"Écoute, je ne sais pas, dit-elle en ancrant son regard dans le sien. Je pense que c'est à toi de prendre la décision, tu es le premier concerné...

- Nous devons prendre cette décision ensemble. Je ne peux pas la prendre seul, il faut que tu m'aides. 

- Rodrigue, je ne peux pas prendre la décision à ta place, c'est... C'est ta vie qui est en jeu, pas la mienne."

Le tas de légumes pâlit.

"C-C'est dangereux un exorcisme, hein ? demanda-t-il d'une voix chevrotante.

- Je ne te cache pas que de tous les films que j'ai vus à ce sujet, aucun ne finit spécialement bien...

- Mais si on ne fait rien, je vais mourir d'ici quelques jours, c'est ça ?

- Je ne sais pas si...

- Mais je pourrais tout aussi bien mourir sur le champ si on le fait, n'est-ce pas ?"

La baleine hocha silencieusement la tête, ses grands yeux pleins de larmes.

"Ou pire encore avoir envie de m'enfoncer des trucs dans l'anus, c'est bien ce que tu m'as dit ?

- Je... Oui..."

Rodrigue sembla réfléchir une seconde, puis il se tourna de nouveau vers sa fiancée.

"Ça va sûrement te paraître fou Cynthia, mais... Je veux tenter le coup. Et tant pis pour mon anus."