Sixième partie.

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Il ne me reste qu'une phrase à lire quand tu arrives. Voilà, maintenant je ne suis plus concentré, j'ai lu la phrase très vite, donc tout l'effet de chute concentré dans cette dite phrase est parti en fumée. Je te déteste. Enfin... façon de parler. Je lève les yeux vers toi, tu me regardes d'un air... intrigué. Et oui, un livre, ça se lit ! Et ça s'achète, aussi ! Ça te permet de donner un peu d'argent à un pauvre libraire qui a du mal à boucler ses fins de mois ! Allez, mon grand, un petit geste pour le pauvre libraire... tu m'offres ton faux sourire habituel avant de recommencer à errer dans mes rayons. Au bout d'un moment, je finis par poser mon livre parce que... bah, ça sert à rien de le garder dans les mains comme un con, et je déglutis. Très sexy, vraiment.

-Pourquoi tu m'as posé cette question, la dernière fois ?

Je devine à ton air gêné que tu réfléchis à demander "quelle question? " mais ça ne marchera pas, mon vieux. Je t'ai grillé. Tu soupires longuement, et prends un livre pour le feuilleter (et pour masquer ton malaise, j'imagine.) Tu le feuillettes longtemps, très longtemps. Au moins... cinq minutes. Sérieusement, c'est lassant d'attendre que tu daignes relever les yeux vers moi, au bout d'un moment. Quand je commence à croire que tu ne répondras jamais, tu décides de prendre la parole, de ta voix plus rauque qu'au lycée.

-Parce que... et bien... je voulais savoir comment tu as réussi à t'en sortir... Tu avais l'air si mal, avant, et maintenant... tu es propriétaire d'une librairie, tu sembles avoir une vie tranquille, ça ne m'étonnerait même pas que tu aies... quelqu'un. Enfin, tu as l'air heureux, quoi.

Je souffle. C'est la seule réaction que je peux avoir, désolé. Je ne suis pas heureux, non ; j'arrive juste mieux à jouer la comédie, et, il faut l'avouer, je me sens bien quand tu entres dans ma petite et vieille librairie merdique. Bon. Je crois que tu attends une réponse. Tu as reposé le livre ; tu me dévisages, (ce qui est extrêmement gênant) adossé au rayon derrière toi. Le rayon des romans à l'eau de rose. J'ai envie d'éclater de rire tellement c'est ironique. Dans tous les romans à l'eau de rose, les protagonistes finissent ensemble à la fin... Or, le jour où tu seras gay et amoureux de moi n'est pas encore arrivé. Et bordel, cette pensée m'énerve.

-Ma librairie, ma petite et vieille librairie merdique, a pour concurrente l'immense et moderne librairie de la rue Montmartre, à même pas une minute d'ici. Les gens préfèrent aller là-bas. Je galère à payer mon loyer, je n'ai pas plus de contacts humains qu'au lycée, non je n'ai personne, ce qui n'est pas surprenant, mais je fais ce que j'aime, alors je vais mieux.

Et surtout, tu viens tous les samedis à dix-huit heures dix-huit, mais ça, je ne te le dirai pas. Tu hoches la tête, et, putain, il est temps, il est vraiment temps que je pose la question qui me torture.

-Pourquoi, toi, tu as l'air... mal ?

Tu vas me répondre, n'est-ce pas ? Tu vas hésiter, réfléchir, te mordre la lèvre inférieure, fuir mon regard, triturer un livre et te confier, en commençant par être vague puis en lâchant tout, tu te mettras à pleurer aussi, et moi je sortirai de derrière mon comptoir pour te prendre dans mes bras et te réconforter. On oubliera le temps et les gens, au milieu de contes et de romans.

J'aurais tellement, mais tellement aimé que ça se passe ainsi. Mais tu en as décidé autrement. Tu t'es renfermé quand j'ai posé ma question, tu as jeté un rapide coup d'œil à ta montre et tu es parti. C'est à peine si j'ai entendu ton faible "à samedi." Pourquoi a-t-il fallu que je te demande une chose aussi importante une heure quarante après ton arrivée ?

Par contre, désolé mon grand, mais je ne compte pas te lâcher. Tu cracheras le morceau, que tu le veuilles ou non. Je veux savoir ce qui t'a rendu ainsi, ce qui t'a détruit.

18h18.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant