Troisième partie.

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Ça fait déjà trois semaines que tu as prononcé les deux petits mots pour la première fois. Et depuis, tu me les dis à chaque fois, quand tu pars. On n'a toujours pas engagé la moindre véritable conversation, mais c'est déjà bien. Je regarde ma montre. Dix-huit heures vingt-et-une. Je sais, je suis en retard. J'ai dû partir en urgence, vers dix-sept heures trente, pour réparer une merde dans mon appartement... enfin, plutôt appeler un plombier, parce que je n'y connais absolument rien dans ce domaine. Ledit plombier a pu se libérer et venir immédiatement, c'est cool, mais il a fallu que je reste jusqu'à la fin. Il m'a dit qu'il allait m'envoyer la facture dans les prochains jours, mais putain, maintenant je suis en retard pour toi. J'ai plus qu'à espérer que tu ne vas pas finalement aller à l'immense et moderne librairie de la rue Montmartre. Quand j'arrive enfin devant ma petite et vieille librairie merdique, il est dix-huit heures vingt-quatre. Et tu es là. Assis sur le perron, à m'attendre... je crois. Tu lèves les yeux à mon arrivée (très bruyante, on ne va pas se mentir) et mon premier réflexe est de dire stupidement :

-Désolé pour le retard. J'avais une urgence.

Comme si nous avions rendez-vous. Sérieusement, ce que je peux être con, parfois. Toi, tu te contentes de hocher la tête, comme si c'était normal, et de te redresser. Tu te décales pour que je puisse ouvrir, avant de me suivre à l'intérieur. Est-ce que, du coup, tu vas quand même rester autant de temps que d'habitude, ou tu partiras au bout d'une heure trente-six pour compenser ? Franchement, j'ai envie de prier pour que tu restes une heure quarante. Mais ce serait hypocrite, je n'ai jamais cru en quoi que ce soit, et je n'ai jamais prié pour quoi que ce soit. Alors m'y mettre maintenant, à vingt-quatre ans, pour une raison aussi stupide que le temps de ta visite, ce serait pathétique ; hypocrite et pathétique. Tu recommences ton petit tour, pendant que moi, je t'observe. Comme toujours. Une femme âgée entre, me salue gentiment, parcourt les livres du regard, en prend un, le feuillette avant de venir vers moi et de me le tendre pour que je l'encaisse. Tu vois ? C'est possible d'acheter un livre. Et puis c'est simple. Tu pourrais le faire, toi aussi, tu sais. Ça te ferait de la lecture, et moi de l'argent. On serait tous les deux contents, comme ça. Quand la dame s'en va (sans oublier de me dire au revoir, elle) tu te tournes vers moi, et je l'entends à nouveau. Ta voix, plus rauque qu'au lycée.

-Tu les as tous lus, les bouquins de ta librairie ?

-Pas tous, mais une grande partie.

Première question-réponse. Nous venons de franchir un cap, je nous félicite. Bon, ce n'est pas ainsi que nous allons réussir à engager une véritable et longue discussion, mais c'est déjà un grand pas en avant. Tu souris, de ton grand et faux sourire, et moi j'en suis heureux. Enfin... presque. J'aimerais que ton grand et faux sourire se transforme en beau et vrai sourire. Un jour, je le verrai, hein ? Ton beau et vrai sourire.

18h18.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant