Hantera, au pied du volcan Räunga.
Depuis de nombreux jours, le prince Ürtz avait traversé les terres les plus primitives et inhospitalières de son royaume surnommées les plaines fumantes. Il avait évité tous ses pièges mortels : les crevasses brulantes, les puissantes colères des geysers ou encore les vapeurs toxiques, et rien ne l'avait détourné de son objectif. Toujours avancer vers le sud.
À présent, le volcan Räunga surgissait droit devant lui, le dominant, et Albaran se demanda par quel versant il allait s'attaquer à ce mont, haut de plus de trois mille pieds, réputé infranchissable. Pour aller à Manldinar puis Isgard, le jeune homme n'avait d'autre choix que de gravir Räunga car à l'est comme à l'ouest, sur plus d'une centaine de lieues, d'immenses précipices empêchaient quiconque ou créatures incapables de voler de se rendre vers les contrées méridionales.
Albaran se laissa tomber près d'un gros rocher pour s'abriter des rafales du vent et se restaurer tranquillement avant son ascension. Un peu de viande sèche et d'eau lui suffirent à reprendre des forces. Le prince d'Hantera, visage déterminé, fixa le ciel saturé de cendres puis reconsidéra les prochains périls qu'il devrait braver. Ce n'était ni sa noblesse de cœur ni la certitude que sa mission était juste qui le poussait à continuer son insensé périple, mais juste que c'était son devoir. Albaran, depuis son plus jeune âge, avait été formé pour devenir un mage guerrier totalement dévoué au grand ordre blanc d'Hantera qui avait pour unique vocation de protéger le sceptre d'Yrion depuis des temps immémoriaux. Le grand-père du prince Ürtz avait lui aussi été un gardien du bâton divin, mais au cours de sa vie, il n'avait jamais dû quitter son royaume pour réaliser une quête quelconque car les pouvoirs du sceptre d'Yrion ne s'étaient pas manifestés à lui contrairement à Albaran qui recevait d'étranges visions lors de son sommeil. Il était évident pour le jeune homme que le bâton divin cherchait un nouveau porteur digne de lui. Des images d'une fille aux yeux émeraude, accompagnées d'un message précis, le hantaient sans cesse chaque nuit, et Albaran devait coûte que coûte la trouver pour satisfaire le commandement du sceptre d'Yrion qu'il gardait précieusement avec lui.
Le prince quitta son abri de fortune puis jeta un regard autour de lui. La terre crachait sans cesse d'impressionnantes gerbes de vapeur comme pour le prévenir, lui dire de faire demi-tour et ne jamais revenir.
— Prépare-toi car je viens te défier ! hurla Albaran en direction du volcan.
Un sillon à peine visible serpentait entre d'impressionnants blocs de pierres noirs, et le prince décida de l'emprunter. Sur une lieue, il suivit scrupuleusement ce chemin tout tracé, et lorsqu'il baladait ses yeux de côté, de sombres gorges s'entrouvraient de part et d'autre. Finalement, le sillon se perdait dans des étendues de caillasses semées de failles rougeoyantes et brulantes aux bouillonnements incessants. Albaran abandonna l'idée de suivre cette voie qui ne l'amenait nulle part, et prit la direction d'un terrain rocailleux extrêmement pentu qui pouvait lui permettre de gagner le sommet rapidement.
Il régnait au cœur de ce monde sinistre une odeur puissante et acre de soufre. Albaran avait beaucoup de peine à reprendre son souffle et, à chaque nouveau pas, il perdait un peu plus d'endurance et d'énergie.
« À ce rythme-là ! Je n'y arriverai jamais », pensa-t-il.
Albaran sortit une fiole de sa pelisse et afficha un sourire de défi en regardant la cime de Räunga, enveloppée de volutes de fumées. Le jeune homme but une potion d'un trait puis, d'un coup, se sentit bien. Son esprit ainsi que son corps semblaient vibrer. C'était une sensation presque enivrante. Bouillant d'énergie, même plus fort qu'avant et plus véloce, il se mit à courir à une vitesse prodigieuse.
Au bout d'une heure d'ascension périlleuse, entre cavités et déchirures remplies de magma, Albaran se heurta à un mur de lave solidifiée presque à pic, qui s'élevait à plus de trente pieds au-dessus de sa tête. Un ultime obstacle à franchir, et le mage guerrier du grand ordre blanc d'Hantera atteindrait le cratère du volcan.
Albaran, tout en se préparant à escalader cette paroi scintillante qui semblait aussi polie qu'un miroir, songeait avec une satisfaction teintée d'orgueil que peu d'individus feraient ce qu'il s'apprêtait à réaliser : franchir Räunga.
Le prince ébranla son corps puis attaqua son ascension sans attendre. Il progressa rapidement car la lave durcie n'était pas si lisse qu'il l'aurait cru, et les nombreuses aspérités lui donnaient de bonnes prises. De temps à autre, Albaran se permettait un peu de repos sur une petite corniche et regardait au loin, les terres torturées qu'il avait sillonnées les jours durant.
À mi-chemin, un effroyable craquement fit sursauter le prince. Une fissure apparut, fonça au-dessus de lui, puis un gros morceau de roche se détacha. Le jeune homme assura promptement sa prise, le puissant souffle du monstrueux bloc lui lécha le corps, et la masse noire s'écrasa en contrebas en une furieuse explosion.
Albaran canalisa toutes ses forces dans ses bras puis redoubla d'effort pour gravir le reste de la paroi au plus vite car il craignait d'autres chutes de pierres, et les grondements sourds et réguliers qu'émettait le volcan n'étaient pas rassurants. Au bout de dix minutes, les membres tétanisés et les mains en sang, l'intrépide prince d'Hantera arriva en haut du terrifiant mont Räunga. Exigeant une dernière poussée de ses bras, Albaran se hissa dans un râle, puis roula dans la caillasse sur le flanc. Il était enfin au sommet ou plutôt sur une crête, pas plus large qu'un bras.
Le prince se redressa puis observa cet environnement cauchemardesque. La cime du volcan était creuse, et un gigantesque cratère s'enfonçait profondément dans ses entrailles. Albaran enroula une étoffe sur son visage pour se protéger des gaz toxiques qui émanaient des panaches de cendre, puis chemina prudemment le long des bords fragiles du gouffre. D'un côté, il y avait le vide. De l'autre côté, une pente qui plongeait dans un lac de matière en fusion orangée et en ébullition continue. Entre les deux, une arête mouvante et instable.
Le jeune mage blanc pouvait entendre l'incessant clapotis qui provenait de l'impressionnante fosse remplie d'un magma fluide prêt à jaillir à tout moment, et ressentait l'intense chaleur même si son aura glacial agissait comme un bouclier thermique.
Après une demi-heure de course à petites foulée en équilibriste, Albaran avait atteint son objectif et pouvait enfin voir Manldinar. Il fut époustouflé par le panorama sauvage qui se présentait à lui. Au pied du mont Räunga, il y avait une plaine couverte d'herbes hautes et de bruyères, puis au-delà de cette étendue verdoyante, une contrée délicieuse parsemée de petits arbres et des buissons s'étendait doucement en collines basses, crêtes après crêtes jusqu'à une immense forêt qui semblait s'étaler jusqu'à l'infini.
Le prince d'Hantera qui n'avait jamais rien connu d'autre que des paysages opalins, n'aurait jamais imaginé que la nature pouvait offrir une telle variété de végétation et de couleur.
Albaran regarda vers l'ouest. Le soleil commençait à embrasser l'horizon. Si le prince ne voulait passer la nuit au sommet du volcan, il ne devait plus perdre de temps.
« Il est temps d'y aller », se dit-il en fixant la pente abrupte bordée d'à-pics rocheux saillants.
Albaran avait hâte de découvrir Manldinar, cet étrange territoire qu'il ne connaissait qu'à travers les sagas de son enfance, et c'est le cœur léger et avec un immense sourire au visage qu'il entama sa vertigineuse descente.
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Princesse Ania - Iorga la Démoniaque - Tome 2
FantasyAnia, la princesse du royaume d'Isgard, fille de Théodoros et Thelma Kårde, vit sous la malédiction de la sorcière Iorga depuis sa naissance. Elle n'a ni la parole ni de sens, et seule la vue lui permet de garder contact avec le monde qui l'entoure...