3. Dublin - l'ouïe - l'hiver

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L'exigeance pour participer au concours de http://draftsandpapers.blogspot.ch/ était d'écrire un texte relativement court avec une ville, un sens et une saison. J'ai choisi Dublin, l'ouïe et l'hiver. Ce texte date, j'espère que vous aimerez quand même. 

Niall court à travers la grande rue, la rue principale, qui, d’habitude, ne signifie pas grand-chose pour le jeune irlandais qui la traverse sans jamais broncher. Vous savez, cette rue que vous êtes obligées de traverser pou aller où vous le souhaitez, où tout le monde se retrouve, même quand on ne le veut pas, cette rue où vous êtes coincés avec votre voiture alors que vous êtes en retard. Vous savez, cette ruelle que vous connaissez par cœur sans pour autant être attaché à son architecture, à sa beauté, à grandeur, à ses fleurs. Et bien, c’est cette rue-là que Niall traverse au pas de course, comme une fusée.

                Ses pas martèlent le sol, son corps touche ou choute celui des autres, son T-shirt effleure sa peau tremblante, ses mains n’arrivent pas à tenir droite pour prendre plus de vitesses, emplies de tristesse de chagrins. Elles tremblent comme des feuilles et même si le blond tente de les contrôler, il n’arrive à rien, absolument à rien. Alors, il continue de faire avancer ses pieds sur le goudron, les mettant l’un après l’autre, l’un devant l’autre, évitant le maximum de passants, évitant le maximum de personnes.

                Des larmes se déversent sur ses joues, comme des torrents, comme les chutes du Niagara. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. L’hôpital est encore trop loin, les gens sont encore trop nombreux, les paparazzis sont trop cons.

Il entend les flashs derrière lui, il les sent l’éclairer, derrière lui. Il entend aussi les flashs devant lui, l’éblouissant. Il entend les jurons qui sortent de sa bouche, malgré qu’il tente de les retenir entre la commissure de ses lèvres, pour ne pas qu’ils sortent. Il entend le cri des fans hystériques le poursuivre, lui foncer dedans, l’entourer comme une tornade. Il entend les chuchotements des irlandais qui cancanent dans son dos. Il entend les larmes des autres, les discussions au téléphone, les déchets jetés par terre, les voitures klaxonnant, les pigeons roucoulant sur le bord de la chaussée. Il entend tout, il veut tout entendre. Il veut écouter le bruit de la vie, plus ou moins intéressante, plus ou moins chiante, qui se passe autour de lui. Il veut se tenir debout grâce à ces sons singuliers auxquels il ne fait jamais attention, auxquels il porte pour la première fois une vraie attention. Et un cri strident résonne dans ses oreilles, une bouteille de whisky heurtant le sol déchire ses tympans, les flashs immortalisent ce moment, ce moment où il sent ses oreilles se briser. Il entend un klaxon lorsqu’il se met à traverser la route, il entend une voiture freiner, il entend tout ce qu’il se passe d’habitude à un feu rouge. Il entend le bruit de la petite boite collée au sémaphore, il l’écoute, malgré que cela lui fait mal. Il le fait, encore et encore.

« Je veux vivre, je veux entendre la vie. Je veux entendre sa vie »

Il veut entendre ses soupires au creux de son oreille, il veut sentir sa main ébouriffant ses cheveux, il veut entendre son rire cristallin, il veut entendre ses chutes lorsque par maladresse, ses jambes lâchent. Il veut entendre sa vieille musique, le bruit que son aspirateur quand il est en marche. Il veut entendre sa voix, résonnant dans son oreille, résonnant dans son appartement, dans sa maison, dans son corps. Il veut l’entendre, encore, et toujours. Il veut l’entendre tout de suite. Il veut entendre ses blagues au téléphone, il veut entendre ses bouteilles de whisky vides, il veut tout entendre. Il veut entendre les bruits de sa vie, de celle qu’il chérit tant, cette vie sans laquelle il ne serait rien.

Il veut l’entendre, lui. Non, il ne veut pas entendre une fille, une fille de plus hurlant dans la rue, une fille l’appelant pour qu’il signe un autographe non. Il veut l’entendre lui, lui et lui. Encore et encore pour se rassurer, pour se donner du courage, pour se dire que cela va aller. Il veut pouvoir se dire que malgré son accent irlandais qu’il a aussi, les insultes passeront. Il veut entendre de sa voix tous les compliments qu’il lui fait d’habitude, sur ses vêtements, ses chaussures, sa coupe de cheveux, ses muscles, ses sourires, ses interviews, ses émissions télés, ses nouvelles chansons, son nouvel album. Il veut entendre qu’il est fier de lui comme de personne, qu’il est fier de lui et qu’il fera tout pour le lui montrer. Il veut entendre son prénom susurré, murmuré, crié. Il veut entendre son nom, de sa bouche, pour lui montrer qu’il est là.

« Où t’es, papaoutai. » Ne me laisse pas, ne m’abandonne pas. Laisse-moi le bonheur de t’entendre et de t’écouter. Laisse mon ouïe marcher pour toi. « Sacré papa, ne me laisse pas, je ne veux pas compter mes doigts, je ne veux pas te chercher, je ne veux pas bouffer mes doigts »

Juste un motOù les histoires vivent. Découvrez maintenant