9: Delilah.

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•Hozier, Arsonist's Lullabye.

"Bien sûr, je comprends. Je reviendrai dès que mes affaires seront réglées. Je vous promets que ça ne prendra pas plus de temps."

J'ajoute quelques formules de politesse et raccroche, soupirant de soulagement. Le congé que j'avais posé va bientôt se terminer, j'ai donc dû appeler mon patron pour le rallonger. En échange, j'ai promis de revenir avec de nouveaux articles et une meilleure mine ; heureusement que mon travail de journaliste n'impose que de minimes responsabilités. Surtout, je peux travailler de n'importe où.

Je ne vais pas pouvoir rester éternellement en France ; cependant, le simple fait de retourner aux Etats-Unis me paraît insurmontable. Je n'arrive pas à décrocher, à me faire à l'idée de laisser Charlie une fois de plus derrière moi et cette fois définitivement. Charlie est encore ici, dans les murs de notre petite ville, dans les rires de mes amis, dans l'odeur familière de sa maison. C'est trop difficile.

"Tu peux encore rester quelques temps ?
-Oui mais pas beaucoup ; j'ai certaines choses qui m'attendent là-bas.
-Ah oui? Une personne en particulier ?"

J'évite le regard persistant de Rosie, baissant les yeux sur mon téléphone posé sur la table basse de mon salon familial.

"Non. Plus maintenant."

Elle ne poursuit pas la conversation, se replongeant dans ses notes. Rosie a décidé de mener sa propre enquête sur Charlie, décrétant qu'il y avait beaucoup trop de zones d'ombres à éclaircir. Je ne sais pas d'où lui vient cet acharnement ; peut être est-ce une manière pour elle de faire son deuil.

"Si seulement j'étais responsable de l'enquête...je pourrais avoir accès à son dossier. C'est impossible d'avancer sans."

Je me redresse, intéressée.

"Pourquoi ne vas-tu pas  y jeter un œil discrètement ?
-Je ne peux pas, c'est confidentiel!
-Et alors?"

Rosie écarquille les yeux, visiblement choquée.

"Tu ne te rends pas compte de ce que tu dis. Je pourrais perdre mon boulot.
-Oh arrête Rosie, ce genre de risque ne t'arrêtait pas, avant.
-J'ai grandi.
-Tu as besoin de ce dossier, tu viens de le dire.
-Et bien je vais devoir faire sans."

Je lève le yeux au ciel, la laissant seule dans son coin. Qu'est-ce qu'elle peut être bornée...La sonnerie de mon téléphone me fait sursauter ; il s'agit de Félix.
Je lis son message avec attention ; il nous demande de le rejoindre rapidement. J'attrape mon manteau et Rosie range dans son sac certaines affaires : son appareil, des sacs plastiques, et de quoi prendre des notes.
Nous sortons de chez moi et traversons la rue pour rejoindre la maison de Félix et Charlie ; notre ami nous attends sous le porche d'entrée, les mains dans les poches.
Il nous salue et nous fait entrer, passant derrière nous.

"J'ai pensé que ça serait une bonne idée de fouiller la chambre de Charlie. Après tout, il s'agit du dernier endroit dans lequel il séjournait. Il faudra peut être retourner dans son appartement, aussi.
-Bonne idée. Je ne serai pas en service, mais je pourrai toujours intervenir si nous avons à nouveau des problèmes."

Je suis mes deux amis vers la chambre de Charlie ; les volets sont ouverts, le lit est fait, il y règne un ordre déconcertant. Elle déborde de vie mais de vide à la fois ; c'est une sensation étrange.

"Je ne suis pas très à l'aise avec l'idée de fouiller dans ses affaires."

Rosie hausse les épaules.

Friendship's blindOù les histoires vivent. Découvrez maintenant