2 | c'était au centre-ville

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Le tic de l'horloge résonne dans ma tête. Je la fixe, faisant abstraction de tout ce qui se passe autour de moi. Un blanc. Un vide. L'espace d'une seconde, je ferme les yeux.

En une fraction de seconde, je ne m'appelle plus Calum Harch, Calum n'est plus assis là, sur une chaise, devant cette table de cantine, avec dans son plateau une purée immonde. Il n'a pas à subir des remarques désobligeantes de la part de ses parents, aucun regard moqueur venant de ses camarades n'est braqué sur lui.

Je suis seul. Une confrontation entre je et moi-même ; le temps d'un soupir.

Un bruit de mastication vient me distraire dans cette coupure du monde. Cette coupure que j'aime, cette coupure qui me fait tenir.

J'ouvre les yeux.

Il n'a fallu que quelques putain de secondes pour que Thibault, l'asiatique au sourire charmeur du bahut se tape l'incruste sur ma table de cantine.
Thibault et moi, moi et Thibault, ça n'a jamais été l'amour fou. Il est mon partenaire en TP de chimie et ça l'avantage assez, et puis il reste souvent avec une bande de machos populaires que je déteste. Il est beau Thibault, bon pas autant que moi mais son air pâlot et ses cheveux à l'allure décoiffés ont leur touche de charme.

Pourquoi un gars comme lui viendrait manger à ma table ? serait probablement la question que je devrais me poser. Or, je suis fatigué alors je ne cherche même plus à comprendre. Ca fait longtemps que j'ai arrêté de chercher à comprendre.

Je fixe Thibault avec mépris. Lorsqu'il mange, ses molaires broient son repas de manière abrupte, quasiment répugnante. Rien que le bruit de sa langue, ces aliments avalés d'une bouchée - aussi grande soit-elle - me rend mal à l'aise. La grâce avec laquelle il s'est incrusté sans aucun problème vient réellement de s'envoler en éclats. Il n'a aucune bonne manière, ça en devient désolant.

Le reste du repas se fit dans le silence - si on omet le bruit provoqué par sa petite personne, avant qu'il ne se jette sur l'occasion de me parler, une frite encore dans la bouche :
"Dis Calum, y'a moyen que tu m'aides pour le DM de maths ?"

Je lui lance un regard noir. Non seulement il se permet de parler en mangeant, mais en plus cela ne le gêne pas pour me demander des réponses. J'ai fini d'être le gars sur qui l'on peut recopier les devoirs depuis plusieurs années déjà.

Je me lève de ma chaise et m'empare de mon plateau, et ce sans lui adresser une quelconque réponse.
Je me disais bien que c'était bizarre qu'il vienne s'asseoir à ma table. Il me prend vraiment pour un con c'est pas possible.

Je sors du réfectoire avec les idées noires, ce gars ne peut s'empêcher de foutre la merde partout je vous jure.

J'ai encore un peu faim alors je profite du temps qu'il me reste pour passer à la boulangerie, histoire de tenir la fin de la journée convenablement.

Alors que je remonte la rue je croise une bande de gars de ma classe. Je ne peux cacher mon mépris. L'un d'eux m'interpelle, le sourire aux lèvres :

"Alors l'intello t'as filé le devoir à Thibault ?" demande le blond, un rictus déformant ses lippes.

Je le toise du regard sans répondre. Bordel qu'est-ce qu'il me fait pitié.

"Allez viens par là Sasha, tente d'apaiser un petit châtain. Dylan nous attend."

Le présumé Sasha acquiesce et s'en va sans demander son reste, et toute la bande suit le mouvement. Je les suis du regard lorsque le châtain se retourne, un putain d'air supérieur collé sur la tronche et une lueur dangereuse vagabondant dans ses yeux verts.

Qui est-ce qu'il essaye de dominer comme ça ?

Je reprends le cours de mon chemin, ou plutôt de ma vie juste avant que n'ait lieu cette petite "altercation". Je remonte la rue et en même temps je remonte le fil de mes pensées, ce qui a fini par me rendre comme ça.
Je me perds, une nouvelle fois encore, dans des pensées un peu trop sordides pour mon esprit. Pour être honnête, je n'aime pas vraiment les gens. Cela va beaucoup plus loin que du simple malaise, dès que je suis entouré, je ne peux réfréner un sentiment de rejet, du mépris, et pour couronner le tout : de l'incompréhension.
Je ne suis pas misanthrope, bien qu'on puisse le penser. Ce ne sont pas les gens que je déteste : c'est leur bêtise.

fleur rouge ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant