Avril 1939
Elisabetta regardait le troupeau de brebis qui ne voulait décidément pas lui obéir. La jeune fille aurait préféré se rendre à l'école mais elle devait aider ses parents et il arrivait fréquemment qu'elle n'aille pas en classe pendant une dizaine de jours. En septembre 38, son père lui avait expliqué qu'il avait négocié avec l'institutrice pour qu'elle puisse être dispensée de quelques cours si elle prenait soin de travailler avec assiduité à son domicile. C'est ainsi que depuis le retour des beaux jours, Elisabetta avait fort peu fréquenté l'école. Bonne élève, elle remplissait cependant ses obligations et son année scolaire était d'ores et déjà réussie.
En soupirant, la jeune fille songea qu'il s'agissait de sa dernière année d'insouciance. L'obligation scolaire prenant fin à quatorze ans, Dumé Casaleccia avait indiqué à sa cadette qu'elle allait recevoir plus de responsabilités au sein de l'exploitation familiale dès la fin de l'été.
Une nouvelle fois Lisa, comme la surnommaient ses frères et sœurs, tenta de regrouper ses bêtes. Elle siffla après H'Orsu, un Cursinu au caractère bien trempé et le chien ne se fit pas prier pour rassembler les brebis les moins dociles. En marchant dans le maquis, la jeune fille se rendit compte que son troupeau l'avait emmenée bien au-delà des limites des territoires que possédaient ses parents et en frissonnant elle constata qu'elle devait sans doute se trouver sur les terres des Venazzi.
Comme elle détestait cette famille de riches industriels !
Au lieu de préserver le caractère rural du pays, ils se plaisaient à le défigurer au nom de la modernité. Elle n'oubliait pas que son grand-père Sempieru avait été assassiné par l'un de ces petits bourgeois cupides et que sa famille avait été décimée pour moitié en raison des luttes sanglantes qui avaient suivi ce meurtre.
Elisabetta se rappelait également que depuis trois ans son clan se trouvait à nouveau sous la menace de cette détestable famille suite à une violente dispute qui avait opposé son père à Antoine Venazzi. La jeune fille, du haut de ses quatorze ans n'ignorait pas qu'elle risquait de provoquer de graves tensions si l'un des hommes du clan ennemi la surprenait dans les environs.
Nerveusement, elle reprit le bâton dont elle se servait pour marcher dans le maquis et elle entreprit de rentrer chez elle. Pressée de quitter au plus vite les terres des Venazzi, Elisabetta glissa malencontreusement sur une pierre en traversant un petit ruisseau et elle se tordit la cheville en tombant. Les larmes aux yeux elle tenta de se relever mais elle n'y parvint pas.
Avec un certain désappointement, elle constata que ses brebis, qui lui avaient peu obéi jusqu'à présent, s'étaient arrêtées et attendaient manifestement un signe de sa part. H'Orsu vint la renifler longuement et la jeune fille le caressa doucement en se disant qu'au moins, le chien la défendrait si un homme tentait de s'approcher d'elle.
Elisabetta remarqua que la luminosité avait considérablement baissée et elle se demanda si ses frères étaient déjà partis à sa recherche. Petite dernière d'une fratrie de six enfants, elle avait été couvée par ses aînés et plus particulièrement par Gabriel, le plus âgé des enfants de Dumé Casaleccia. La jeune fille songea qu'il devait être particulièrement furieux s'il avait remarqué qu'elle n'était pas encore rentrée et, en frissonnant, elle essaya de ne pas penser à la punition qu'il ne manquera pas de lui infliger.
Un léger craquement fit sursauter Elisabetta. Elle tourna la tête vers l'endroit d'où le bruit lui était parvenu et elle fit venir H'Orsu près d'elle. Quelques minutes plus tard, elle se dit qu'elle avait été sans doute victime de son imagination. Cependant, elle n'avait pas rêvé car, à quelques mètres à peine d'elle et bien caché dans le maquis, un jeune homme l'observait.
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Cum' un cantu di liberta
Historical FictionLes Casaleccia et les Venazzi sont deux importantes familles du village de Merusaglia en Corse.Depuis plus de deux siècles, la vendetta fait partie de leur quotidien et les membres des deux clans se vouent une haine féroce. Depuis leur plus jeune â...