Quatre jours plus tard au village, Elisabetta entendit deux vieilles femmes discuter de l'état de santé de Leandru. Sa mère avait contacté un médecin de Bastia tant la violence des vomissements de Leandru l'avait surprise. Le jeune homme semblait avoir du mal à se remettre. S'il n'était plus malade, il n'arrivait pas à manger convenablement. Il était donc toujours alité et sa faiblesse commençait à angoisser sa famille.
Elisabetta prit soudain peur : elle se demanda alors si elle n'avait pas forcé sur la dose qu'elle avait glissé dans le verre du jeune homme. Elle connaissait un remède efficace mais elle se jura de ne le communiquer aux Venazzi que si cela s'avérait nécessaire. Et encore, elle le ferait de manière détournée si elle y était obligée. Bien qu'elle détestait cette famille plus que tout, elle se mit à paniquer à l'idée que, par sa faute, Leandru risquait de mourir s'il ne se remettait pas rapidement.
Depuis le banquet, Elisabetta avait eu le temps de réfléchir au conflit qui altérait la vie de sa famille depuis des générations. Les morts, dans chaque clan se comptaient par dizaines. Si elle se doutait que ses frères et son père n'auraient aucun scrupule à supprimer l'un des hommes du clan des Venazzi, la détresse de Joséphine avait eu le don de faire réfléchir la jeune fille. Elle s'imagina alors dans la situation inverse, ayant l'un de ses frères ou son père blessé ou gravement malade. Elle savait que si elle ne pourrait supporter la perte de l'un d'entre eux, il en serait forcément de même du côté des Venazzi.
Elisabetta réalisa ensuite qu'elle avait appris à détester cette famille sans même chercher à savoir si son père et ses frères avaient raison car, après tout, les torts pouvaient être partagés. Mais elle se souvint de certaines paroles de son père : tout était parti de la jalousie des Venazzi à l'égard de la fortune des Casaleccia à l'époque de Pasquale Paoli. A présent, les rôles s'étaient inversés : la famille d'Elisabetta peinait à nouer les deux bouts tandis que le clan ennemi avait étendu son influence sur toute la Castagniccia, le Cortenais et le Nebbiu.
La jeune fille songea aux dures journées de labeur qui rythmaient la vie de son clan : les Venazzi faisaient tout ce qu'ils pouvaient afin de leur rendre l'existence encore plus difficile. Il fallait les remettre à leur place mais les temps avaient changés : il était possible de les faire souffrir sans devoir tuer l'un d'entre eux.
Pourtant, au fond d'elle-même, et malgré les risques qu'ils courraient, Elisabetta savait que son père, ses oncles et ses frères gardaient cette idée dans un coin de leur tête. La jeune fille se dit que, même si elle détestait et haïssait plus que tout Leandru Venazzi, elle ne voulait pas sa mort. Car son décès en entraînerait un autre, celui de l'un des siens. Elle se promit d'en discuter avec son père : elle ne voulait pas le perdre. Ni lui ni ses frères qu'elle adorait.
Cependant, elle se jura qu'en raison du contentieux qui la liait à Leandru Venazzi, elle allait lui pourrir la vie jusqu'à ce qu'il finisse par reconnaître publiquement ses torts. D'un tempérament aussi impulsif que le jeune homme, Elisabetta ne pouvait accepter qu'il se montre aussi brutal avec elle et elle ne comprenait pas pourquoi il faisait tout un cas d'une phrase, à son sens anodine, qu'elle avait prononcée à son égard.
Ce garçon avait une très haute estime de lui-même. Elisabetta songea qu'il était temps que quelqu'un se charge de le remettre à la place qui était la sienne. Son père pouvait lui demander de se tenir aussi loin que possible de Leandru Venazzi, elle ne laisserait personne se charger de lui. Il avait traité Gabriel de minable paysan. Il allait voir qui était le plus minable des deux.
Leandru Venazzi ne quitta son lit que dix jours après le banquet du 14 juillet. Il était faible et avait perdu beaucoup de poids car il n'avait pratiquement rien avalé pendant sa convalescence. Il n'avait rien dit ni à sa mère et encore moins à son père mais il savait parfaitement qu'il n'avait pas été malade à cause d'un bout de viande mal cuit. Paul et Filippu n'avaient cessé de boire durant toute la soirée : ils avaient passé une mauvaise nuit à cause de tout l'alcool qu'ils avaient ingurgité. Lui ne buvait jamais : c'était une ligne de conduite qu'il s'était fixée depuis quelques temps déjà et il comptait bien la tenir même si les vins et les liqueurs produits par sa famille étaient de grande qualité.
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Cum' un cantu di liberta
Historical FictionLes Casaleccia et les Venazzi sont deux importantes familles du village de Merusaglia en Corse.Depuis plus de deux siècles, la vendetta fait partie de leur quotidien et les membres des deux clans se vouent une haine féroce. Depuis leur plus jeune â...