Attendre et espérer

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Après avoir lutté aux côtés de milliers d'autres jeunes gens, après avoir mené une résistance héroïque et désespérée, Gabriel, Jean et François se trouvaient sur un bateau de la Royal Navy afin de rejoindre l'Angleterre. Affaiblis, choqués par les horreurs auxquelles ils avaient été confrontés, les trois frères tentaient de se remettre de leurs émotions. Ils avaient vécu un chaos infernal, bien loin de ce qu'ils imaginaient et les récits des membres de leur famille qui avaient connu la Grande Guerre leur semblaient tout à coup bien fades.

Pendant une semaine, ils avaient enduré les bombardements intensifs de l'armée allemande. Ils avaient vu des camarades se faire tuer et ils avaient cru leur dernière heure arriver au moins une centaine de fois. Leurs nerfs avaient été mis à rude épreuve mais ils s'étaient soutenus jusqu'au bout. A présent, même s'ils avaient quitté la plage de Dunkerque, ils redoutaient que leur navire ne soit touché par une torpille allemande et ils savaient qu'ils ne seraient définitivement en sécurité que lorsqu'ils auraient posé le pied sur le sol anglais.

Les trois frères ne savaient pas ce que leur réservait leur avenir mais ils espéraient de tout cœur rejoindre au plus vite leur île natale pour retrouver leur famille.

- Gabriel ? Gabriel Casaleccia ?

Gabriel se releva prestement en entendant son nom et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il vit devant lui Charles Venazzi. Le visage du frère aîné d'Elisabetta se crispa : c'était peut-être la guerre mais l'homme devant lui était un ennemi de sa famille. Charles Venazzi remarqua alors François et Jean et il grimaça :

- Je vois que vous avez eu de la chance. Vous rentrerez au pays au complet.

- Vous...

Gabriel jeta un coup d'œil derrière son interlocuteur et il ne vit que deux autres jeunes hommes. Charles Venazzi dit alors d'un ton accablé :

- Mon frère Paul a été tué dès les premiers combats. Quant à Leandru...

- Comment ça Leandru ? Mais il était resté au village, il...

- C'est très mal connaître mon frère. Il s'est engagé dès qu'il a appris l'invasion de la Belgique et des Pays-Bas. L'un de nos camarades dit qu'il a été attrapé par les Allemands. A l'heure qu'il est je suppose qu'il doit se trouver dans un train à destination de l'une de leurs prisons.

- Alors, il...il a une chance de revenir en Corse ?

- J'en doute. D'après ce que je sais, Les Boches n'ont pas l'intention de faire dans le sentimentalisme. Au fait, il a eu le temps de me dire que votre jeune sœur avait causé d'énormes dégâts.

- Elisabetta ? Comment cela ?

- Elle ne cesse manifestement de tout faire pour qu'il ait une réputation déplorable et...elle a fait en sorte que mon frère annule ses prochaines fiançailles avec Silvia Martinelli.

- Pourquoi aurait-elle fait cela enfin ! Voyons, Charles !

L'aîné des Venazzi ne put répliquer : une alerte se déclencha et tous les soldats présents dans le navire se préparèrent à devoir à nouveau affronter l'ennemi. Les six hommes, les trois Casaleccia et les trois Venazzi, se regardèrent avec inquiétude. Au-dessus de leur tête le vrombissement des avions se fit entendre mais curieusement, aucun bruit de tir ne vint troubler le silence. Au bout de vingt longues minutes l'alerte prit fin et les Corses s'observèrent à nouveau avec méfiance.

- Vous savez ce qui nous attend en Angleterre ?

- Non, on ne nous a rien dit.

Cum' un cantu di libertaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant