Disparition

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Pour Elisabetta, le monde s'était arrêté de tourner au moment même où son père avait prononcé ces mots funestes.

Je ne verrai pas le retour de tes frères

Elle n'avait pas voulu le croire mais l'air triste et sérieux de Dumé Casaleccia avait anéanti tous ses espoirs. Avec une certaine émotion, elle lui avait alors pris le bras et l'avait emmené dans la cuisine où il avait avoué son lourd secret au restant de la famille. Depuis, la joie semblait avoir disparu de la maisonnée.

L'hiver approchait à grands pas, le mois de novembre en était à sa seconde moitié, et les températures devenaient de plus en plus froides. Les premiers flocons étaient tombés sur la montagne rendant les déplacements beaucoup plus périlleux. Elisabetta profita d'un jour où la neige avait cessé de tomber pour se rendre à l'église Santa Riparata. Perchée sur son promontoire à neuf cent mètres d'altitude, l'église dominait Merusaglia et les environs.

L'accès était ardu mais la jeune fille aimait s'y rendre de temps en temps pour y être seule. Elle y déposait également un dimanche par mois une fleur sur le parvis, pour respecter la volonté de sa grand-mère, en souvenir de leur ancêtre Carlu Casaleccia assassiné par les Venazzi pour avoir fréquenté une des leurs. Elisabetta songeait à cette partie sanglante de l'histoire de sa famille en arrivant près de l'église et elle se dit qu'il n'y avait vraiment aucun risque qu'elle tombe amoureuse d'un Venazzi.

La jeune fille ne s'attarda finalement pas près de l'édifice religieux : le vent commençait à monter, les nuages s'amoncelaient dans le ciel et la neige allait vraisemblablement refaire son apparition. Dans sa hâte de rentrer, la jeune fille glissa à plusieurs reprises sur les pierres et c'est avec un certain soulagement qu'elle retrouva la route qui traversait le hameau.

Elisabetta marchait d'un pas rapide lorsqu'elle aperçut une silhouette massive qui descendait de Stretta. Immédiatement, elle fut sur ses gardes : seul les Venazzi et leurs plus proches alliés vivaient dans cette partie du village. Son sang se glaça lorsqu'elle reconnut Leandru. Le jeune homme était vêtu d'un chapeau qui dissimulait une partie de son visage, d'un épais manteau d'hiver et il portait un lourd sac sur son épaule.

Songeant qu'elle tenait peut-être là l'explication à la disparition régulière des charcuteries de l'exploitation familiale, Elisabetta voulut se cacher derrière un rocher pour ensuite suivre son ennemi mais ce dernier l'aperçut avant même qu'elle ne puisse faire un seul pas. Il fondit sur elle tel un prédateur sur sa proie mais il s'arrêta brusquement à quelques mètres d'elle, comme s'il redoutait à présent de la toucher.

- Décidément, il faut toujours que tu sois sur mon chemin ! Tu n'as rien à faire chez toi ? Ça ne t'arrive donc jamais de nettoyer, de préparer les repas ou de repriser des vêtements ?

- Les rues du village appartiennent à tout le monde ! Il n'est pas encore né celui qui m'interdira d'aller où bon me semble.

- Ne me parle pas sur ce ton Elisabetta ! Surtout pas après ce que tu as osé me faire. Oh... ne fait pas cette tête-là, tu sais parfaitement de quoi je parle. Si tu pensais que tout le monde allait croire à cette stupide idée de viande mal cuite tu t'es bien trompée. Tu as voulu m'empoisonner Elisabetta et je te promets que tu vas regretter de t'en être pris à moi.

- Vous empoisonner ? Avà ! Vous lisez trop de livres mon cher. Votre petite personne ne m'intéresse pas. Et, en parlant du banquet, je n'ai pas oublié votre insulte à l'égard de mon frère. C'est vous qui êtes minable, vous n'êtes qu'un lamentable et pitoyable...

Elisabetta ne put continuer sa tirade car Leandru lui plaqua la main sur sa bouche :

- Encore un mot Elisabetta et je ne réponds plus de rien. J'ai déjà assez à faire avec les rumeurs qui circulent sur mon dos par ta faute.

Cum' un cantu di libertaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant