Elisabetta ne dormait plus depuis trois semaines. Chaque jour apportait son lot d'atroces nouvelles et rien ne semblait pouvoir freiner l'avancée des Allemands sur le territoire français malgré les combats intenses que menaient les troupes françaises et britanniques.
La Belgique avait capitulé, les Pays-Bas avaient capitulé et la situation des Alliés en France était catastrophique. Selon les journaux , les morts se comptaient par centaine et certains indiquaient que les Allemands avaient déjà fait plus de dix mille prisonniers. Les combats se concentraient autour de Dunkerque et dans la Somme mais Elisabetta savait que tôt ou tard, les Allemands se dirigeraient vers Paris et le Sud du pays.
La jeune fille songeait à ses frères : où étaient-ils ? Avaient-ils réussi à échapper aux Allemands ? Etaient-ils encore en vie ?
Les mauvaises nouvelles qui ne cessaient de parvenir au village semblaient avoir donné un coup fatal à Dumé Casaleccia : lui qui, quelques semaines plus tôt, marchait d'un bon pas dans la montagne, était couché dans son lit la plupart du temps. La gestion de l'exploitation familiale reposait à présent sur les épaules de Matteu et d'Elisabetta mais le frère et la sœur étaient motivés et ils travaillent sans compter pour que leur père soit fier d'eux. Plongés dans ce dur labeur, ils arrivaient à ne pas trop penser à ce qui se passait sur le continent.
Chez les Venazzi, l'ambiance était également pesante : Antoine s'était effondré lorsqu'il avait découvert la lettre de son plus jeune fils. Il connaissait bien Leandru : il avait déjà essayé un an auparavant de s'engager dans l'armée et cette fois, disposant de l'âge requis, Antoine savait que rien ne pourrait empêcher son fils de rejoindre les troupes françaises. N'ayant pas remarqué immédiatement sa disparation, il arriva à Bastia six heures après Leandru.
Au Palais des Gouverneurs, un officier lui confirma l'engagement de son fils et son départ une heure plus tôt pour le continent. Anéanti, Antoine Venazzi marcha plus de deux heures dans les rus de Bastia, sans trop savoir où il allait. Il passa sur l'immense place Saint Nicolas et il finit par échouer sur les bancs de l'Eglise Notre Dame de Lourdes. Il s'assit sur l'un des bancs en bois et il observa un instant l'imposante statue de la Vierge Marie qui lui faisait face, au fond de l'édifice.
- Depuis ma plus tendre enfance, mes parents n'ont cessé de me répéter que vous protégiez notre famille mais aujourd'hui, j'ai le cruel sentiment que vous nous avez abandonnés. Pourquoi m'avoir pris mes cinq fils ? Je reconnais que je n'ai pas toujours agi correctement mais la faible étincelle de courage qu'il me restait lorsque nous avons appris le début de la guerre l'année dernière, cette étincelle est en train de mourir. Mes enfants sont ce que j'ai de plus précieux à mes yeux. Je sais que la mort n'est qu'une porte, qu'ils combattent pour une noble cause mais...je ne peux pas imaginer un seul instant que je ne reverrai pas mes garçons. Sainte Marie, mère de Dieu, je vous en prie, aidez-moi ! Ayez pitié de nous ! Je...je suis même prêt à faire la paix avec Dumé Casaleccia s'il le faut, mais s'il vous plait, faites que mes fils rentrent à la maison sains et saufs !
Antoine Venazzi s'effondra sur le banc sans pouvoir maîtriser ses larmes. Il resta longtemps dans l'église puis, d'un pas lent il retourna à l'endroit où il avait laissé sa voiture et c'est très tard dans la soirée qu'il arriva à Merusaglia. Joséphine l'accueillit en pleurs : les heures passant, elle avait cru que son mari ne reviendrait jamais et elle ne put lui cacher sa détresse lorsqu'il franchit le pas de la porte de la demeure familiale.
Tous deux savaient que Leandru n'avait pas renoncé à son projet insensé de combattre mais il n'avait que dix-huit ans et absolument aucune expérience militaire. Anna-Maria, la seule fille d'Antoine Venazzi qui vivait encore chez ses parents, essaya de les consoler mais elle n'y parvint pas.
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Cum' un cantu di liberta
Historical FictionLes Casaleccia et les Venazzi sont deux importantes familles du village de Merusaglia en Corse.Depuis plus de deux siècles, la vendetta fait partie de leur quotidien et les membres des deux clans se vouent une haine féroce. Depuis leur plus jeune â...